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Jacques Rondeux : "La forêt a un cruel besoin d'arbitres"
30/08/2010

Jacques RondeuxPropos recueillis par Philippe Lamotte

Il existe un moyen très simple de mettre Jacques Rondeux de fâcheuse humeur: prétendre que la profession de bio-ingénieur forestier mène droit au chômage. Les chiffres démentent évidemment cette assertion. Mais… rien à faire: la foresterie, science qu'exerce depuis près de quarante ans cet Ardennais de souche et de cœur, responsable de l'Unité "Gestion des ressources forestières et des milieux naturels" depuis près de vingt-cinq ans, souffre d'un déficit d'image au sein d'un monde académique rivé à la recherche fondamentale et aux succès de notoriété que celle-ci procure à ses acteurs.

Parmi ses innombrables publications, c'est sans nul doute l'"Inventaire permanent des Ressources forestières de Wallonie" qui reste le plus spontanément collé à sa personne. Et pour cause! C'est à Jacques Rondeux, en effet, que la Wallonie doit cet outil perfectionné de recensement de la ressource ligneuse et forestière, mis au point et initié au début des années quatre-vingt, construit contre vents et marées et coulé sous forme décrétale en 1996. Véritable tableau de bord de la forêt wallonne, celui-ci permet de tracer les différents scénarios d'évolution des espaces boisés, non seulement pour exploiter au mieux la ressource ligneuse mais aussi pour optimaliser le respect des différentes fonctions écologiques, voire sociales, de la forêt.

Dans quelques semaines, cet ancien vice-recteur (1992 à 2000) de la Faculté universitaire des sciences agronomiques de Gembloux Agro-Bio Tech, et à ce titre artisan du rapprochement de celle-ci avec l'Université de Liège, partira à la retraite. Non sans la satisfaction d'avoir réussi à mener à son terme un combat qui lui tenait particulièrement à cœur et qui l’avait vu prêcher dans le désert pendant quinze ans: la création, dans le  grand concert des masters européens issus de Bologne, d'une formation de cinq ans strictement spécialisée dans la gestion des forêts et des espaces naturels.

Cette nouveauté (la seconde rentrée de ce master de bio-ingénieur a lieu cette année) n'est pas le fruit du hasard et, encore moins, d'un caprice personnel. Depuis une vingtaine d'années, la forêt est entrée dans une zone de turbulences, à l'aune des grands débats qui ont marqué le passage de la planète au XXIe siècle, tels le bouleversement climatique et la protection de la biodiversité. Chez nous, à un échelon plus local, la forêt ne s'est jamais autant invitée à la une de l'actualité que ces dernières années. Que l'on se souvienne des débats parfois passionnels sur l'accès des véhicules motorisés à la forêt, le nouveau code forestier et la labellisation du bois "durable". Il était temps, d'une manière ou d'une autre, de dynamiser la formation de celui qu'on appelait encore récemment "Ingénieur des Eaux et forêts" et de la mettre plus en phase avec son époque.

Reflexions n'a pas voulu manquer l'occasion de s'entretenir avec un  homme qui, entre sagesse et bouillonnement, n'est pas du genre à manier la langue de bois. Et qui n'hésite pas, fort de son expérience et de sa liberté de pensée, à démonter les idées les plus convenues.

La forêt va-t-elle conserver, demain, sa vocation d'atout économique pour la Région wallonne?

Malgré tout ce qu’on peut entendre ici ou là, je suis convaincu que la forêt de demain sera moins vouée à la production qu’aujourd’hui. En effet, quoi qu’il advienne, les produits finis issus des pays scandinaves vont continuer à envahir nos marchés. Les forêts vont rester leurs figures de proue économiques alors qu'en Wallonie, nous sommes en train de négliger le rôle de production économique de la forêt, à la faveur d’un climat empreint de préoccupations essentiellement environnementales et, singulièrement, de « Natura 2000 » (NDLR: la mise en place, à l'instigation de l'Union européenne, d'un réseau de plus de 200 000 hectares en Wallonie destinés à la protection des oiseaux et des écosystèmes fragiles).

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