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Jacques Rondeux : "La forêt a un cruel besoin d'arbitres"
30/08/2010

Un pronostic bien sombre, qui tranche avec l'image d'Epinal de la forêt…

En parlant ainsi, je ne lis pas dans ma boule de cristal. J'observe déjà le présent! Deux exemples. Voyez la commune de Wellin, en Ardenne. On a récemment retiré à cette commune forestière le droit de vendre son bois sur le marché certifié (NDLR: du bois portant le label PEFC) sous le prétexte que les dégâts causés par le gibier sont trop importants pour garantir la durabilité du massif. Cette décision est vraiment étonnante: on a fait payer le plus maillon le plus faible – la commune – à cause d'un problème lié à  la chasse – les chasseurs veulent des plans de tirs bien garnis et maintiennent une surdensité artificielle – qui n'a pas suffisamment été contrôlé par le Département de la Nature et des Forêts (DNF). J’entends dire que cette commune avait été prévenue ! Elle paierait donc aujourd’hui le fait d’avoir loué la chasse à un prix particulièrement (trop) attractif. Le chasseur a trop souvent les pleins pouvoirs. C'est, selon moi, dans ce type de situation aux autorités forestières à jouer le rôle de garde-fou pour les forêts soumises au régime forestier et c’est à elles qu’il appartient de faire respecter les plans de tir. Elles devraient pouvoir activer une batterie de mesures pour éviter que les communes ne soient pas tentées de pratiquer des locations de chasse trop lucratives. Sans cela, la forêt de demain sera trop vulnérable, piétinée et broutée par des animaux en surnombre… L'autre exemple concerne l'utilisation de la ressource forestière à des fins de production d'énergie. Si l'on promeut le recours au bois bas de gamme pour faire tourner les chaudières, on grignote forcément la part de marché des papetiers ou des fabricants de panneaux, qui ont recours exactement à la même matière première. Sans la présence d'un arbitre, on va droit au chaos.

Vous êtes sceptique sur le fait que des régions forestières de Wallonie pourraient accroître leur indépendance énergétique et diminuer sensiblement leur facture en ayant recours au bois. N'est-ce pas nier l'intérêt de l'une des formes d'énergies renouvelables pourtant vantée partout?

Tout  dépend de l'échelle envisagée…. Nous, forestiers, avons tous les outils disponibles pour déterminer à quelles conditions une commune, par exemple, pourrait assurer son approvisionnement en bois pour chauffer ses bâtiments communaux ou produire son électricité. Mais à l'échelle de la Wallonie, c'est une autre affaire! On s'est rué tête baissée dans l'utilisation de la biomasse à des fins énergétiques sans étudier les bonnes questions. Dans un contexte qui verra probablement la part des résineux – et singulièrement de l'épicéa  – diminuer dans les forêts wallonnes (lire ci-dessous), va-t-on se précipiter demain sur le bois mort pour alimenter cette filière? Rappelons que ce bois mort a une fonction écologique indispensable, son ramassage étant d'ailleurs interdit! Faute d'avoir réellement étudié l'offre et la demande au plan économique, on risque de mettre une pression importante sur le prix de la ressource première. Qui  parmi les papetiers, les fabricants de panneaux ou les utilisateurs de la biomasse énergétique, sera capable de mettre sur la table les quelques cents d'euro supplémentaires pour emporter le marché? Probablement quelques multinationales papetières, qui ont les reins suffisamment solides pour rogner légèrement sur leurs bénéfices…  A-t-on suffisamment étudié l'impact de telles évolutions sur l'emploi? En outre, je m'interroge sur le sens de voir un ministre instaurer un régime de primes favorisant l'achat d'inserts à pellets (NDLR: granulés de bois) et son collègue prôner lui, le rôle écologique du bois mort en forêt…

Après des années d'attente et de débats, le nouveau code forestier est enfin effectif. Quelle en est votre appréciation?

L’ancien code datait du milieu du XIXe siècle. La forêt doit répondre aujourd’hui à une telle pluralité de besoins (économiques, sociaux, environnementaux) qu’il était temps de moderniser le texte clé de sa gestion.  Indéniablement, ce nouveau code va dans le bon sens. Ceci étant dit, je regrette franchement que la suppression des droits de succession – une avancée significative, qui favorisera une forêt plus hétérogène, plus diversifiée  – ait été présentée comme une façon de freiner le morcellement de la propriété forestière privée. Avec 100 000 propriétaires possédant en moyenne 2 hectares, je me demande bien comment on peut encore éviter le morcellement ! J’aurais préféré, de loin, que l’on présente ce cadeau fiscal comme une juste rémunération pour ceux qui, propriétaires de biens boisés, contribuent à faire vivre un patrimoine qui est de plus en plus sollicité par les demandes sociétales et les Conférences internationales sur les forêts. Un autre regret. On aurait dû, comme à l’étranger, imposer aux propriétaires privés le respect d’un plan de gestion. Enfin, et surtout, le code entérine la clé 53 % d’essences feuillues/47 % de résineux, ce qui est surprenant, voire aberrant. Ce chiffre, en effet, traduit la situation actuelle, fournie par l’inventaire forestier permanent. Or, cette photographie d’un moment X devient un objectif, alors que le visage de la forêt va forcément changer ! Où est, là-dedans, la notion de gestion prospective et adaptative, indispensable si l’on veut relever les défis futurs ?

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