« Natura 2000 » serait une mauvaise chose ?

Je n’ai pas dit cela. « Natura 2000 » ne revient d’ailleurs pas à mettre la nature "sous cloche" comme l’ont prétendu certains de ses détracteurs. Mais fallait-il mettre principalement sur le dos des forestiers un objectif aussi légitime que la conservation des espaces naturels? Je rappelle en effet que 70 % des espaces répertoriés « Natura 2000 » se situent en forêt. C’est énorme ! Mal mobilisés pour la bataille et peu habitués à se serrer les coudes face aux exigences des environnementalistes, les forestiers sont aujourd'hui appelés à réparer des années de saccage des espaces naturels et de l’environnement hors-forêt. On leur demande, en quelque sorte, de laver plus blanc que blanc. Est-ce bien à eux de jouer ce rôle de rédemption?

Tout de même, ils ne sont pas les seuls. Les agriculteurs sont, eux aussi, mis à rude contribution pour Natura 2000…

Pas autant que les forestiers, loin s’en faut. Mieux organisés, les agriculteurs sont habitués à défendre leurs intérêts. La Politique agricole commune les y invite, voire les y oblige ! Le monde politique a beaucoup plus de scrupules à leur demander de réparer ce long passé de mauvaise gestion environnementale qu’aux forestiers, dénués de politique commune, car l’agriculture est déjà prise à la gorge et elle nourrit la société. Elle s’en tire à relativement bon compte avec les mesures agro-environnementales à respecter. Le monde forestier, lui, n’a pas résisté avec suffisamment de pugnacité aux velléités de « Natura 2000 » et d’autres réglementations mettant la biodiversité au pinacle. Il suffit de lire le nouveau Code forestier : le mot « biodiversité » y apparaît des dizaines de fois, celui de « production » très peu. Je crains bien qu’on se soit engouffré dans des législations environnementales médiatiquement et politiquement très porteuses, sans avoir suffisamment réfléchi à leur impact sur la forêt de production.

Que reprochez-vous aux réglementations environnementales?

Honnêtement, qui pense vraiment que la forêt wallonne est globalement mal gérée? Des excès et des erreurs de gestion, il y  en a eu, bien sûr. Et il y en aura probablement encore malgré tous les efforts. Mais faut-il pour autant faire de la maximalisation de biodiversité un objectif en tant que tel? Pour moi, c'est un attrape-nigauds. La biodiversité doit rester un indicateur de bonne gestion, sans plus. Mais certainement pas devenir l'objectif numéro 1 partout en forêt. En calculant des indices biotiques basés sur la quantité de bois mort ou la présence de milieux ouverts, on peut obtenir un tableau qui traduit, à un moment donné, l'état de la biodiversité. Si, cinq ou dix ans plus tard, ces indices reflètent une situation qui se dégrade, alors il faut s'interroger sur la gestion probablement déficiente de cette forêt. Cette manière de faire, c'est tout de même autre chose que chercher à augmenter à tout prix la biodiversité. Cet objectif de maximalisation, outre qu’il relève d’une préoccupation mal formulée, n'est d’ailleurs pas nécessairement synonyme d'une forêt plus durable.

On est allé trop loin dans ce domaine?

On pèche par dogmatisme. La forêt wallonne est trop petite et trop fragmentée pour y imposer partout et toujours l'objectif de "multifonctionnalité" qu'on lui assigne dans les réglementations de ces dernières années: production économique, accueil de l'écotourisme, chasse au grand gibier, protection de la biodiversité, lutte contre le réchauffement via les stocks de carbone, etc. On pourrait très bien envisager, par exemple, que certaines zones soient tournées quasi exclusivement vers la production et le rendement, quitte à être moins riches en biodiversité; et que, plus loin, une autre zone soit protégée parce qu'elle recèle des libellules ou des plantes particulièrement menacées. J’appelle cela une « sectorisation hiérarchisée » : on ne fait pas tout, avec la même intensité, au même endroit. Car l’espace est insuffisant pour cela.