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Dyslexie : panne de décodeur et de séquenceur
30/04/2013

Selon la théorie phonologique de la dyslexie, ce trouble spécifique de l'acquisition du langage écrit qui se caractérise par un déficit dans l'aptitude du sujet à établir la correspondance entre les graphèmes (lettres) et les phonèmes (sons) est dû au fait que les représentations phonologiques de celui-ci ne sont pas suffisamment fines ou détaillées. Des chercheurs de l'ULg ont mis en évidence l'existence d'un autre processus déficitaire : les dyslexiques éprouvent des difficultés à stocker des séquences ordonnées de mots en mémoire à court terme. Les chercheurs ont ainsi  découvert, chez des enfants de dernière maternelle, que leurs capacités de mémorisation à court terme de l'ordre des informations verbales étaient le prédicteur le plus puissant de leur niveau de lecture un an plus tard. Aux yeux des chercheurs liégeois, ces nouvelles données expérimentales renforcent encore davantage l’intérêt d’utiliser la « méthode phonique » d'apprentissage de la lecture qui s’appuie sur un décodage séquentiel des lettres constituant les mots. En outre, en mettant en exergue l'importance du traitement de la séquentialité, elles ouvrent un champ de rééducation complémentaire pour la prise en charge des enfants dyslexiques.

Le langage a connu ses premiers balbutiements il y a quelque 2 millions d'années. On suppose qu’il était alors  gestuel. La parole s'y est intégrée voilà 150 000 ou 200 000 ans au gré de l'évolution génétique. Le langage écrit, lui, est d'apparition beaucoup plus récente encore, puisque l'écriture date de 4 000 ans environ. Tellement récente d'ailleurs que le cerveau n'a pas eu le temps d'évoluer pour se doter de « modules » dédiés spécifiquement aux opérations cognitives sous-tendant la lecture et l'écriture. Aussi, comme le souligne Stanislas Dehaene (1) dans son ouvrage Les neurones de la lecture, est-il obligé de pratiquer une forme de « recyclage » en s'appuyant sur des régions cérébrales préexistantes dévolues à d'autres fonctions, dont il exploite la plasticité pour les réorienter vers l'identification des signes écrits et la mise en liaison de ces derniers avec le langage parlé.

S'établissent ainsi des circuits de la lecture impliquant les aires visuelles et les aires du langage parlé. En 2010, le magazine Science publia les résultats d'une étude entreprise par une équipe internationale conduite par Stanislas Dehaene, de l'Inserm (France), et à laquelle participèrent Régine Kolinsky et José Morais, de l'Université libre de Bruxelles. Ces travaux avaient trait aux activations cérébrales chez des adultes diversement alphabétisés confrontés à une batterie de stimuli, dont des phrases parlées et écrites, des mots et des pseudo-mots - c'est-à-dire des mots dépourvus de signification, tels « tincheluche » ou « mupfteux » -, des objets, des visages ou encore des damiers. Fondés sur des mesures réalisées au moyen de l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), ils furent menés au Brésil et au Portugal, pays où la scolarisation n'était pas encore généralisée il y a quelques dizaines d'années. Soixante-trois adultes volontaires y prirent part : 10 analphabètes, 22 personnes non scolarisées mais alphabétisées à l'âge adulte et 31 personnes scolarisées depuis l'enfance.

IRMf Dyslexie

Qu'a révélé cette étude ? En mettant en rapport les scores de lecture et les activations cérébrales correspondantes, les chercheurs ont montré que l'impact de l'alphabétisation sur le fonctionnement du cerveau est bien plus étendu que les études précédentes le laissaient penser et que cela concerne tant les aires visuelles que celles utilisées pour le langage parlé. Ainsi, l'apprentissage de la lecture augmenterait les réponses des aires visuelles du cortex, non seulement dans une région spécialisée pour la reconnaissance des lettres - la « boîte aux lettres du cerveau » -, mais aussi dans l'aire visuelle primaire, où aboutit toute information visuelle. De même, la lecture accroîtrait les réponses au langage parlé dans une région du cortex auditif impliquée dans le codage des phonèmes. « Ce résultat pourrait correspondre au fait que les analphabètes ne parviennent pas à réaliser des jeux de langage tels que la délétion du premier son d'un mot », indiquent les auteurs de l'étude. Autrement dit, ne parviennent pas à extraire « aris » de « Paris », par exemple.

(1) Professeur au Collège de France, Stanislas Dehaene est responsable de l'unité Inserm-CEA de neuroimagerie cognitive, à Saclay.

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