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Dyslexie : panne de décodeur et de séquenceur
30/04/2013

Pas de période critique

Par ailleurs, les travaux placés sous la direction de Stanislas Dehaene mettent en évidence que la capacité de lire induit une extension des aires du langage et une communication bidirectionnelle entre les réseaux des langages parlé et écrit. La comparaison entre les bons lecteurs et les analphabètes est éloquente à ce propos : chez les premiers, la vision d'une phrase écrite active l'ensemble des aires du langage parlé, mais, de surcroît, l'audition d'un mot réactive son code orthographique dans les aires visuelles. Chez les seconds, par contre, le traitement du langage se limite à la seule modalité auditive.

Autre résultat intéressant : l'aire visuelle recrutée dans l'hémisphère gauche par les lecteurs pour décoder les mots écrits est activée chez les analphabètes pour la reconnaissance des objets et des visages. Elle l'est aussi chez les lecteurs mais l'intensité de son activation se réduit légèrement à mesure que leur compétence en lecture augmente. On assiste alors à un déplacement partiel, vers l'hémisphère droit, des activations liées à la reconnaissance des objets et des visages. Bref, le cortex visuel du lecteur se réorganise pour répondre à la compétition que semblent se livrer l'activité nouvelle de lecture et les activités plus anciennes d'identification des objets et des visages. Cela nuit-il aux capacités de reconnaissance de ces deux entités ? En particulier, les personnes qui savent lire sont-elles moins physionomistes que les personnes non alphabétisées ? Pour l'heure, on l'ignore.

Une question se pose avec insistance : dans quelle mesure les résultats obtenus diffèrent-ils selon que l'apprentissage de la lecture s'est opéré dès l'enfance ou ne s'est réalisée que plus tard, via des cours d'alphabétisation à l'âge adulte ? D'après les auteurs de l'article paru dans Science, il n'existerait pas de période critique pour apprendre à lire, l'effet de cet apprentissage sur le fonctionnement du cortex s'avérant quasi identique chez les personnes scolarisées dès l'enfance et chez les lecteurs plus tardifs. Les auteurs en concluent, bonne nouvelle, que les circuits de la lecture restent plastiques tout au long de la vie.

Exercice de décodage

La lecture est assurément une opération cognitive complexe, au cours de laquelle l'information est transférée du module visuel, permettant la perception visuelle des mots, au module voué au langage parlé. Ainsi que le précise Martine Poncelet, chercheuse au sein du département de psychologie, cognition & comportement de l'Université de Liège (ULg), la lecture peut s'effectuer soit selon une procédure de conversion des graphèmes en phonèmes, appelée « procédure d'assemblage », soit selon une procédure globale qualifiée de « procédure d'adressage ».

De jeunes enfants ne sachant ni lire ni écrire reconnaissent certains symboles, qui les aiguillent vers l'identification de la marque d'un produit, par exemple, ou certains mots simples, perçus dans leur globalité grâce à leurs caractéristiques visuelles. Il pourrait en être ainsi du mot « moto », en raison de ses deux « o » suggérant l'idée de deux roues. Au début de l'apprentissage de la lecture, l'enfant s'appuie néanmoins sur la procédure d'assemblage. Il se livre à un véritable exercice de décodage qui lui permet d'établir un lien entre les graphèmes et les phonèmes correspondants. C'est la même technique qu'utilisent les adultes alphabétisés face à de nouveaux mots, certains noms propres ou des mots inventés de toutes pièces par les psychologues à des fins expérimentales (pseudo-mots). « Selon les conceptions actuelles de l'apprentissage du langage écrit, la capacité à appliquer la stratégie par conversion des graphèmes en phonèmes constitue la condition sine qua non à un bon apprentissage de la lecture, indique Martine Poncelet. Le travail de décodage est indispensable. »

Hormis les cas où un mot tel que « moto » est identifié grâce à ses particularités visuelles, la procédure d'adressage n'intervient que dans un deuxième temps. En clair, elle ne peut trouver sa pleine mesure qu'en se nourrissant des acquis forgés préalablement grâce au processus de décodage. Quand un mot, déjà décodé auparavant, est rencontré à plusieurs reprises en un laps de temps relativement court, il est intégré dans la mémoire du lecteur, de sorte que sa reconnaissance s'effectue habituellement de façon instantanée dès qu'il se représente. Chez un lecteur expérimenté, la lecture reposera donc sur la procédure d'adressage, la procédure d'assemblage n'étant théoriquement plus sollicitée que pour le déchiffrage de mots inconnus ou oubliés. « Un bon lecteur est quelqu'un qui identifie de façon automatique, rapide et sans erreur les mots écrits et peut donc se focaliser sur le sens de ce qu'il lit », souligne Martine Poncelet.

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