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Le jeu des mémoires
18/02/2013

Dans la maladie d'Alzheimer, les premiers troubles concernent généralement la mémoire épisodique, celle des événements personnellement vécus. À travers plusieurs études, le groupe Aging and Memory de l'Université de Liège a exploré le fonctionnement des mémoires et leurs dysfonctions dans cette démence.«Il ressort de l'ensemble des expériences que les patients Alzheimer utilisent plus volontiers un sentiment de familiarité pour reconnaître une information, dans la mesure où leur mémoire épisodique défaillante ne leur donne pas accès à des détails suffisants pour retrouver tout le contexte d'un événement», souligne le docteur Eric Salmon, médecin coordinateur du Centre de la Mémoire et de l'Unité de Neuropsychologie du Centre Hospitalier Universitaire de Liège. La « familiarité » étant largement préservée au début de la maladie d'Alzheimer, son exploitation doit donc être promue, car elle semble pouvoir être utilisée comme un mécanisme compensatoire permettant aux patients de continuer à s'adonner à des tâches quotidiennes valorisantes, fussent-elles routinières.

autobioLa mémoire n'est pas un monolithe. Depuis les travaux (1995) du chercheur canadien Endel Tulving, de nombreux auteurs soutiennent qu'elle se subdivise en plusieurs entités indépendantes, en interaction, sous-tendues par des réseaux cérébraux différents. Chez le patient Alzheimer, toutes les formes de mémoire sont touchées, mais à des degrés divers. Au début de l'affection, la plupart des plaintes concernent la mémoire épisodique, « réceptacle » des événements personnellement vécus dont nous pouvons resituer le contexte spatial et temporel. Par exemple, quelqu'un se rappellera être tombé en panne d'essence sur l'autoroute Paris-Lyon en août 2010 alors qu'il régnait la canicule et que sa femme était enceinte de sept mois. Un autre se souviendra de sa filleule, toute de bleu vêtue, se faisant photographier sur les genoux de St-Nicolas dans un grand magasin du centre de Bruxelles...

Le souvenir des événements récents, ceux qui se sont produits quelques minutes, quelques heures, quelques jours ou quelques mois auparavant, semble être la cible privilégiée des premières atteintes mnésiques (mémoire) dans la maladie d'Alzheimer. Ainsi, tel patient ne se souviendra plus d'avoir allumé sa cuisinière dix minutes plus tôt et tel autre, d'avoir effectué un virement bancaire au début du mois précédent.

« On pense que dans les phases initiales de la maladie, la mémoire épisodique des phénomènes anciens est relativement préservée », indique le professeur Éric Salmon, médecin coordinateur du Centre de la Mémoire et de l'Unité de Neuropsychologie du CHU de Liège, vice-président du Centre de Recherches du Cyclotron de l'Université de Liège (ULg). Et de préciser : « Il est probable que les souvenirs anciens aient été stockés dans des régions plus longtemps épargnées par la maladie, à une époque où les processus de stockage n'étaient pas encore défaillants. »

Se pose néanmoins la question de la qualité de ces « vieux souvenirs ». Car tout laisse supposer qu'ils risquent fréquemment de perdre leur caractère épisodique pour dériver vers les territoires de la mémoire sémantique, siège de nos « connaissances générales sur le monde ». C'est cette forme de mémoire, en effet, qui nous permet de savoir que Rome est la capitale de l'Italie, que lors d'un mariage religieux, la mariée porte généralement une robe blanche ou que dans un restaurant, il convient de s'asseoir, de consulter le menu, de manger, de réclamer l'addition et de payer.« Les patients Alzheimer ont tendance à ne rapporter que les grandes lignes des événements qu'ils ont vécus dans le passé, sans détails contextuels », confirme Éric Salmon.

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