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Le jeu des mémoires
18/02/2013

« Il ressort de l'ensemble des expériences que nous avons menées que les patients Alzheimer utilisent plus volontiers un sentiment de familiarité pour reconnaître une information, dans la mesure où leur mémoire épisodique défaillante ne leur donne pas accès à des détails suffisants pour retrouver tout le contexte d'un événement », souligne Éric Salmon.

La « familiarité » étant largement préservée au début de la maladie d'Alzheimer, son exploitation doit être promue, car elle semble pouvoir être utilisée comme un mécanisme compensatoire permettant aux patients de continuer à s'adonner à des tâches quotidiennes valorisantes, fussent-elles routinières.

Le poids des erreurs

La « familiarité » est un processus explicite, l'individu pouvant exprimer verbalement le sentiment de « déjà vu » qu'il ressent. Mais elle a aussi une caractéristique commune avec le phénomène implicite d'amorçage traduisant le fait qu'une première confrontation avec un stimulus, l'« amorce », peut nous incliner, à notre insu, à le préférer par la suite à un autre (4). La caractéristique commune à la familiarité et à l'amorçage est la « fluence », cette « facilité » qui préside à l'évocation de certaines informations.

En 2008, au terme d'une étude (5) comportant plusieurs volets, Sylvie Willems, Éric Salmon et Martial Van der Linden ont montré que la fluence perceptive n'aide pas les patients Alzheimer à améliorer leurs performances de reconnaissance par familiarité s'ils se concentrent sur des détails, mais qu'elle bonifie l'amorçage (inconscient) et la reconnaissance consciente si la stratégie adoptée est holistique, c'est-à-dire si le patient traite les informations visuelles comme un ensemble.« Dans ce cas, la reconnaissance est aussi bonne en début de maladie que chez les sujets contrôles », indique Éric Salmon.

Dans une autre étude, très récente (6), des chercheurs du groupe Aging and Memory ont mis en évidence que les patients Alzheimer ont un jugement erroné sur leurs capacités mnésiques et que l'importance de leurs erreurs d'appréciation en la matière est corrélée avec le degré d'atrophie de leur hippocampe.« Cet élément n'est pas anodin, car il influe sur le choix des stratégies de mémoire », insiste Éric Salmon.
  
En conclusion, les stratégies centrées sur la familiarité doivent être encouragées dans la maladie d'Alzheimer même si, plus sommaires, elles portent en elles le risque de mener à de fausses reconnaissances, comme quand on aborde un inconnu en croyant qu'il s'agit d'une personne familière. « Très utile dans bien des cas, l'apprentissage par essais et erreurs est à proscrire dans les stratégies de réadaptation cognitive des patients Alzheimer », insiste Éric Salmon. Si ceux-ci sont mis en échec parce qu'on a surestimé les capacités résiduelles de recollection de leur mémoire épisodique, non seulement le risque de les voir perpétuer leurs erreurs est important mais, en outre, certains éprouveront un sentiment de dévalorisation et d'autres, anosognosiques, un sentiment de colère, persuadés qu'on a essayé de les piéger. Par conséquent, la qualité de l'évaluation neuropsychologique constitue plus que jamais une des clés de voûte de la prise en charge du patient Alzheimer.

(4) Par exemple, il se pourrait qu'après avoir parlé de botanique avec quelqu'un (amorçage), nous préférions, sans raison apparente, effectuer une promenade en forêt plutôt que de prendre un verre à la terrasse d'un café.
(5) Willems S. et al., Implicit/explicit memory dissociation in Alzheimer's disease: the consequence of inappropriate processing? Neuropsychology 22/710-717, 2008.
(6) Genon S. et al., Specific impairment of episodic metacognitive judgements in Alzheimer's disease: the role of the hippocampus (soumis pour publication).

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