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Akhénaton revisité
17/05/2010

Certains l’ont considéré comme le précurseur du Christ. D’autres ont vu en lui un proto-hippie ou la figure de proue du mouvement gay. Monothéiste avant la lettre, époux de Néfertiti et père de Toutankhamon, ce pharaon avait tout pour faire fantasmer l’Occident. Dans la biographie qu’il lui consacre (1), l’égyptologue liégeois Dimitri Laboury passe les vieux mythes au crible de la science contemporaine.

COVER Laboury
Comment écrire une biographie fiable d’un roi disparu il y a plus de trente siècles ? Beaucoup dépend de l’abondance et de la qualité des sources que le temps a permis de conserver jusqu’à nous. Mais, dans le cas d’Amenhotep IV-Akhénaton (Aménophis IV, en grec ancien), le problème majeur réside dans la manière donc les informations disponibles à sont sujet ont été interprétées depuis sa « redécouverte », au milieu du XIXème siècle. Son personnage a, en effet, été déformé, parfois jusqu’au risible, par les fantasmes et les besoins identitaires que l’Occident ressentait, alors, vis-à-vis de l’Égypte antique. Cette civilisation était en effet perçue, depuis la fin du Moyen Âge, comme un précurseur des sociétés contemporaines et de leurs valeurs. Aussi attribua-t-on au pharaon « monothéiste » des comportements et des traits de personnalité qui n’avaient, quelquefois, pas grand-chose à voir avec ce qu’il fit et fut réellement. Parmi les innombrables biographies du monarque, qu’elles soient ouvertement romancées ou se veuillent scientifiques, presque aucune n’échappe à cet effet de miroir déformant créé par les attentes de l’époque à l’égard de ce souverain atypique, qui dirigea l’Égypte pendant dix-sept ans (+/- 1352-1335 av. J.-C.). Les égyptologues eux-mêmes n’ont généralement pas su échapper à ce phénomène d’«hallucination culturelle »; au contraire, ils y ont souvent contribué !


Aussi faut-il distinguer ce qui est historiquement avéré et ce qui relève de l’opinion – voire de la projection – personnelle, entre l’Akhénaton précurseur du Christ, le père spirituel de Moïse, un humaniste préscientifique, « bon dirigeant qui aime l’humanité », ou un despote éclairé, praticien de la realpolitik , le premier instigateur de la théosophie, du nazisme ou de la perestroïka, ou un excentrique dégénéré, iconoclaste et dictatorial, un philosophe présocratique ou le premier fondamentaliste de l’histoire, pour n’épingler que quelques portraits brossés par d’éminents égyptologues. Mais que dire si l’on y ajoute l’Akhénaton proto-islamique, celui des afrocentristes, des pères de la psychanalyse, des marxistes, le proto-hippie des années 1960-70, l’idole des rappeurs, une figure de proue du mouvement gay ou même l’Akhénaton extraterrestre, qui connaît de nos jours un certain succès sur l’Internet ? Des aventures de Blake et Mortimer dans Le Mystère de la Grande Pyramide au héros du prix Nobel de littérature Naguib Mahfouz, de la pièce d’Agatha Christie à l’écrivaine ésotérique nazie Savitri Dévi, le pharaon a, littéralement, été servi à toutes les sauces ! Une large gamme d’Akhénatons successifs seront ainsi fantasmés au fil des époques, selon une lecture « occidentalocentriste » conditionnée par l’air du temps, les besoins du moment. A tel point que le pharaon monothéiste constitue un véritable cas d’école pour illustrer l’influence du contexte ambiant sur l’écriture de l’histoire. Mais l’immense popularité d’Akhénaton n’est sans doute pas étrangère, non plus, à la révélation, dans les années 1920, du magnifique et célébrissime buste de son épouse Néfertiti, puis à la plus emblématique et la plus médiatique de toutes les découvertes de l’histoire de l’archéologie : la mise au jour, en 1922, du trésor funéraire presque intact d’un enfant-roi sorti de l’oubli : Toutankhamon, qui allait se révéler, plus tard, être le fils d’Akhénaton.

 

(1) Dimitri Laboury, Akhénaton, Pygmalion, Paris, 2010, 482 pages.

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