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La reconnaissance des « Justes » : un processus mémoriel délicat
12/03/2015

Depuis plus de 50 ans, l’Etat d’Israël attribue le titre de « Juste parmi les Nations » aux personnes qu’il considère comme des non-Juifs remarquables. Ce titre – le plus haut décerné par Israël à un « Goyim » – est porté par plusieurs personnes en province de Liège. La bravoure de certains sauveurs liégeois est cependant entachée d’actes compliquant le processus mémoriel. La conversion des enfants juifs cachés par l’Eglise catholique en est l’exemple le plus éloquent. Une étude de Vincent Genin, doctorant au département des Sciences historiques de l’Université de Liège.

Yad Vashem Hall of namesDécerné à partir de 1963, le titre de « Juste parmi les Nations » consiste en l’octroi d’une médaille et d’un diplôme remis par les autorités israéliennes et la gravure du nom de son bénéficiaire sur les murs du «Jardin des Justes », sur le Mont du souvenir à Jérusalem. Autrefois, le Juste avait droit à un arbre portant son nom, planté dans les jardins du Yad Vashem, mais faute de place, aujourd’hui, cette cérémonie a cédé la place à la gravure du nom sur les murs du jardin.

Les conditions d’attribution de cette distinction en font un sujet sensible. Le titre est en effet décerné uniquement sur demande  des sauveurs, des sauvés ou de témoin(s) probant(s),(, à l’appui d’un dossier enrichi par des témoignages. La commission des Justes analyse les demandes et décerne ou non le titre.

Vincent Genin, doctorant en Histoire à l’Université de Liège, revient sur quelques épisodes inédits dans l’histoire du sauvetage des juifs en région liégeoise(1). Il analyse ensuite les phases successives du processus mémoriel, qui s’est déroulé de 1944 à 2010.

L’Eglise au centre des sauvetages

En Province de Liège, le clergé est au centre du processus de sauvetage des enfants juifs traqués et persécutés lors de la Seconde Guerre mondiale. Si aucune instruction officielle en ce sens n’émane de l’Eglise belge, la compréhension et l’entraide sont bien de mise. L’attitude de l’Archevêché de Malines est la suivante : « rester muet sur le sort des Juifs tout en n’interdisant pas leur sauvetage », explique Vincent Genin.

Deux personnages se font particulièrement remarquer pour leurs actes de bravoure : Monseigneur Louis-Joseph Kerkhofs, évêque de Liège de 1927 à 1961, et Albert Van den Berg, avocat liégeois, confit de foi catholique et administrateur des Colonies épiscopales de Banneux.

En 1942, alors que débutent les rafles, ces deux hommes prennent conscience qu’ils doivent agir. Une communauté juive assez importante est en effet établie à Liège, composée en grande partie de Juifs de Pologne ayant fui le régime du général Piłsudski, 15 ans plus tôt.
Sous l’égide de l’évêque, des séminaristes, des prêtres et des chanoines vont être le bras armé de l’Eglise dans le sauvetage des Juifs.

Entre sauvetages et apparitions

L’un des premiers sauvetages réalisés est celui du rabbin de Liège, Joseph Lepkifker. Pour échapper aux poursuites des Allemands, il est emmené à Banneux en juillet 1942, en compagnie de plusieurs dizaines d’enfants juifs. « Il avait été mis en contact avec l’évêque par l’entremise de l’historien et professeur à l’ULg Léon-E. Halkin, qui a lui-même caché une jeune fille juive, à Tilff, avant son arrestation, en 1943, ce dont il ne parle pas dans son livre à ce sujet , « A l’ombre de la mort ». Il est bon de dire que, après le passage de la Gestapo chez lui, c’est son collègue, Paul Harsin, historien et économiste de haut vol, injustement peu cité aujourd’hui, qui a aidé matériellement, en toute discrétion, la famille Halkin, souligne Vincent Genin ».

Si Liège se distingue par le nombre de sauvetages réalisés, c’est grâce à sa situation géographique favorable et notamment sa proximité avec l’Ardenne. Il y a des lieux où se cacher, de petits villages entourés par les bois et de la végétation abondante. Banneux en fait partie et est ainsi un endroit idéal pour dissimuler plusieurs dizaines de Juifs traqués.

Le sauvetage de Lepkifker à Banneux est marqué par un événement embarrassant : l’apparition de la Vierge au Rabbin. Cet épisode est rapporté dans ses carnets par le chanoine Louis Jamin, curé de Banneux, celui-là même qui a recueilli les premières confidences de Mariette Beco, la petite fille à laquelle la Vierge Marie serait apparue en 1933.

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