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La reconnaissance des « Justes » : un processus mémoriel délicat
12/03/2015

« Il faut bien comprendre que nous sommes en pleine occupation allemande, dans le village de Banneux, dans lequel on honore la Vierge, suite à son apparition quelques années auparavant. L’évêque lui-même porte une grande affection au culte de la Vierge. Pour ces hommes de Dieu, l’apparition de la Vierge au rabbin est un aboutissement. À l’origine, les Juifs sont pour eux les déicides et constituent un peuple à convertir », rappelle Vincent Genin.

La véracité de cet épisode, accréditée par de récents travaux scientifiques, est néanmoins remise en cause par l’auteur de l’étude, d’une part, au regard de l’état nerveux instable du rabbin, soigné depuis plusieurs années pour dépression et particulièrement fragile à la suite des violences de 1942, et d’autre part, de l’objectivité du chanoine, connu pour être un « convertisseur ». « D’une étincelle, Jamin a très bien pu nous rapporter un événement percutant, à l’aune de ses propres ambitions », nuance ainsi Vincent Genin. Les écrits du chanoine doivent également être regardés avec un œil critique, ceux-ci ayant été réécrits dans les années 1950, suite à la destruction des originaux durant la guerre. Ceux-ci offrent à l’historien une matière idoine à un examen de critique historique.

La question de la conversion

Le réseau Van den Berg-Kerkhofs est à l’origine du sauvetage de plus de 200 enfants juifs, âgés de 5 à 8 ans en moyenne. Parmi ceux-ci, on dénombre treize cas de conversion, réalisées dans l’environnement très propice de Banneux.

À en croire les écrits, les baptêmes se déroulent tous à la demande expresse des enfants. « Monsieur le chanoine, je veux être fidèle maintenant », raconte avoir entendu le chanoine Jamin. Cette volonté affirmée d’être baptisé compliquera la question de la reconnaissance, puisqu’on ne peut parler de baptêmes forcés.

« Se pose la question du libre arbitre de ces enfants : sont-ils conscients de ce qu’ils demandent ? Je ne pense pas, affirme Vincent Genin. Leur maturité ne leur permet probablement pas de mesurer l’importance de ce qu’ils réclament. Au contraire, certains enfants, déjà suffisamment ancrés dans la judéité, n’auraient, pour leur part, jamais demandé le baptême. Nous trouvons également quelques traces de refus de baptême des mains de l’abbé Jamin et de Monseigneur Kherkhofs ». Ces traces de baptême ont d’ailleurs été « purifiées », à la Libération, par des groupements de résistance juive, de tendance souvent communiste, désirant replonger les enfants dans un milieu juif.
Attention toutefois à ne pas faire d’amalgame : si certains sauveurs religieux sont favorables à l’évangélisation des Juifs, tous ne sont pas des convertisseurs.

Quelle reconnaissance pour les convertisseurs ?

Au moment de la reconnaissance en tant que Juste, ces conversions posent un problème énorme sur le plan de l’éthique. Si à l’origine, le sauvetage est gracieux, il a pu aboutir à des situations d’intéressement, comme c’est le cas pour le chanoine Jamin et les enfants baptisés.

Lorsque les dossiers affluent à Tel-Aviv, à la Commission des Justes, le dossier de Jamin arrive sur la table. Le chanoine a sauvé des dizaines d’enfants juifs mais il en a converti treize, avec le soutien d’autres hommes d’église. Pour certains membres de la Commission, il est inconcevable de reconnaître un convertisseur. Le dossier du chanoine piétine pendant longtemps, freinant même la reconnaissance d’autres membres du réseau. Malgré les faits qu’on lui reproche, Jamin sera reconnu dans les années 1990, bien après sa mort survenue en 1961.

Le cas « Jamin » n’est pas isolé. À côté des conversions, d’autres freins à l’octroi du titre existent. Georges Rhodius est un militant réactionnaire qui faisait partie avant 1940 de la Légion Nationale, un mouvement d’extrême droite. Pendant le conflit, il s’érige comme sauveur de dizaines de juifs. Quand il est question de lui octroyer le titre de Juste dans les années 1990, Israël freine le processus en découvrant son passé. Après maintes péripéties, il obtiendra malgré tout le titre.

Ces débats gênants autour de la reconnaissance et de la conversion ne sont jamais abordés dans les publications touchant à la reconnaissance des Justes. « The Encyclopedia of the Righteous Among the Nations », regroupant tous les Justes reconnus par Israël, ne fait ainsi aucune allusion à ces questions, soulevant certains problèmes de critique historique.

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