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Les abeilles, bêtes noires des éléphants
21/11/2016

Pour des millions de paysans africains, la nécessité de repousser les incursions d'éléphants loin des cultures constitue un enjeu vital. Ces dernières années, une batterie de moyens non létaux a été imaginée pour éloigner l’éléphant de savanes. Les résultats sont encourageants mais ...l'animal est intelligent. Il faut sans cesse trouver de nouvelles méthodes dissuasives, tout en respectant les impératifs de conservation de l'espèce, très menacée. Pour la première fois, une équipe de Gembloux Agro-Bio Tech a démontré, au Gabon, que l'efficacité des ruches et des abeilles comme instruments répulsifs s'appliquait également à l’éléphant de forêts d'Afrique centrale.  

Vu d'Europe, le Gabon est surtout connu pour sa manne pétrolière et son indice de développement élevé par rapport aux pays voisins. Justifiée, cette réputation n'en occulte pas moins une autre réalité, nettement moins connue mais faisant couler pas mal d'encre dans le monde de la conservation de la nature. Ce pays présente en effet un paradoxe énorme, relatif à l'un des emblèmes les plus prestigieux de son vaste patrimoine de nature et de biodiversité: l'éléphant, quoiqu’en danger de disparition, cause de plus en plus de dégâts aux cultures.

Forest elephant group

Grand comme huit fois la Belgique et peuplé d'à peine 1,5 million d'habitants (soit sept fois moins que la densité moyenne du continent africain!), le Gabon est parsemé d'immenses forêts, dont beaucoup jouissent d'un statut officiel de protection (parcs, réserves, etc.). L'essentiel de sa population vit concentrée dans deux grandes zones urbaines (Libreville et Port-Gentil) et le long des principaux axes de communication. On pourrait donc croire, a priori, que la cohabitation entre l'homme et le célèbre pachyderme est plutôt harmonieuse. Or la réalité est toute autre. "L'irritation envers les dégâts aux cultures causés par les éléphants ne fait que croître un peu partout dans le pays, explique Cédric Vermeulen, Professeur à Gembloux Agro-Bio Tech/Université de Liège. Au point qu'un nombre croissant de villageois, en forêt, abandonnent leurs champs par découragement et que ce phénomène, relayé par les élites locales, prend de plus en plus l'allure d'un débat national. Le paradoxe est d'autant plus étonnant que, même si le pays abrite encore une grande population d’Éléphants de Forêt (Loxodonta Africana cyclotis), l'espèce est en diminution dramatique. Les chiffres des comptages scientifiques les plus récents sont inquiétants: rien qu'entre 2002 et 2011, l’éléphant de forêt a vu ses effectifs fondre de 62 % en Afrique centrale". 

Une exaspération grandissante

Parmi les explications possibles à ce paradoxe, le spécialiste de l'Afrique et de la cohabitation homme/mammifères retient au moins deux éléments. D'une part, le besoin de mobilité des uns et des autres: les éléphants sont capables de se déplacer sur de grandes distances, ce qui les met en contact avec des activités humaines qui, sous l'effet d'une pression démographique malgré tout bien réelle, s'avèrent de plus en plus gourmandes en espaces et en voies de communication. D'autre part (et c'est lié), une partie des animaux vivant dans les aires naturelles, normalement assorties de conditions de tranquillité, sont en réalité soumis à une intense pression de braconnage. Mus par le besoin impérieux de sécurité et d'alimentation, ils sont tentés d'"aller voir ailleurs" et, ce faisant, se rapprochent de plus en plus des cultures. Souvent situés en périphéries des réserves de grande faune, les champs riches en fruits et tubercules les plus divers (bananes plantains, ignames, manioc…) leur permettent de satisfaire leurs énormes besoins nutritionnels plus facilement qu'au hasard des cueillettes en forêt. Dans cette sorte de balance coûts/bénéfices entre l'appel du ventre et le besoin de sécurité, c'est - le plus souvent - le premier impératif qui l'emporte, malgré quelques abattages sporadiques de la part de villageois excédés. 

Certes, on ne peut pas totalement exclure que des enjeux strictement politiciens interviennent dans la montée en puissance de ce thème dans l'agenda médiatique et politique du pays. Il n'empêche que la réalité sociale et économique est bien là: une large frange de la population rurale, déjà démunie en équipements divers (hôpitaux, écoles, eau potable...), est exposée en permanence aux incursions d'animaux capables de compromettre un besoin aussi élémentaire que l'accès à la nourriture. "Le monde de la conservation est ébranlé par cette réalité, souligne Cédric Vermeulen. Les villageois sont privés de leurs récoltes, les populations souffrent. Il est urgent de trouver des solutions efficaces, non létales, pour repousser les éléphants. Il se dit que le président du pays, Ali Bongo, aurait rappelé publiquement qu'il n'avait pas été élu par les éléphants...." Un message qui, lu entre les lignes, pourrait annoncer de sombres lendemains pour les populations de Loxodonta Africana Cyclotis. Car la tentation est grande, pour les élites politiques , de proposer des battues ou d'autres systèmes de représailles. Efficaces à court terme, celles-ci sont réputées ne rien résoudre à longue échéance. Elles risquent, en outre, de précipiter l'impasse dans laquelle s'enfoncent les populations d’éléphants de forêt.

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