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Les abeilles, bêtes noires des éléphants
21/11/2016

Une double mission bien remplie

Mais l'intérêt de l'étude de Steeve Ngama ne s'arrête pas là. Le fait d'avoir - aussi - quantifié régulièrement la production de miel dans les ruches expérimentale démontre que cette "fonction" traditionnelle de l'abeille est, à certaines conditions, parfaitement compatible avec son efficacité de répulsion des éléphants. "Au-delà de 70 mouvements d'abeilles par minute (niveau d’efficacité absolu car, au-delà, quasiment aucune activité d’éléphants n’a été enregistrée), les ruches n'ont pas produit de miel, ou très peu, explique le doctorant gabonais. Les récoltes les plus intéressantes (supérieures à 3 kilos) ont été opérées dans la tranche de 30 à 60 mouvements par minute, c'est-à-dire à un niveau où les abeilles sont déjà répulsives pour les éléphants. Il faut toutefois reconnaître que nous avons dû faire face aux attaques de ruches par certains parasites, ce qui a eu une incidence sur la production de miel. Si encourageants soient-ils, ces résultats restent donc préliminaires et exigent de nombreux approfondissements".

Au-delà de cet approfondissement des données, la question centrale devient, d'ores et déjà, celle de l'introduction potentielle d'une apiculture organisée - comme source de revenus - dans ces régions. Est-ce possible ou pas? Est-ce souhaitable ou pas? Sur cette deuxième question, la réponse est claire dès à présent. "Beaucoup de villageois, au Gabon, sont demandeurs de programmes apicoles, commente Cédric Vermeulen. Il faut savoir que la collecte du miel "sauvage", aujourd'hui, s'opère d'une façon très périlleuse et occasionne la destruction systématique des colonies. Certes, plusieurs ethnies - Pygmées, notamment - se sont fait une spécialité de cette prospection. Mais, protégé vaille que vaille par des feuilles et de la fumée, le grimpeur doit monter à quelque dix ou quinze mètres de hauteur; continuellement soumis au risque de piqûres et de chute, il doit plonger les mains dans l'orifice de l'arbre occupé par les insectes pour tenter d'atteindre le miel ! Les essaims  sont en outre difficiles à trouver en forêt. L'élevage présente moins de dangers tant pour les hommes que pour les colonies d’abeilles. Surtout, il constitue, pour les populations villageoises, à la fois une alternative intéressante au braconnage et une source de revenus appréciable". 

Elephant foret ruche

Une abeille quelque peu... irascible

Quant à la faisabilité de tels programmes, de premiers dispositifs sont d'ores et déjà en cours d'expérimentation au Gabon, plus précisément au parc National des Monts de Cristal. Ils sont encadrés par les équipes zootechniques d'institutions locales de recherche et, par ailleurs, soutenus par des firmes privées qui fournissent l'équipement. "Avec ce type d'approche, nous sommes au carrefour de deux disciplines qui s'enrichissent mutuellement: la zootechnie (l'élevage d'une espèce d'abeille peu connue), supervisée par le Professeur Jérôme Bindelle, co-promoteur de la thèse, et la biologie de la conservation (la protection de l’Éléphant de Forêt); avec, pour toile de fond, l'amélioration du niveau de vie des habitants. Il nous reste beaucoup de choses à comprendre - et c'est ce que fait Steeve Ngama pour le moment, de retour au Gabon. Par exemple: quel est l'état physiologique des éléphants les plus attirés par les cultures (par l'analyse des excréments et le dosage des hormones)? Quels sont les facteurs les plus attractifs, dans les cultures, pour les animaux: les cultures elles-mêmes, les espèces végétales sauvages ou les fruits des arbres non plantés par l'homme et présents autour des parcelles cultivées? Quelle serait la quantité optimale de ruches susceptible de constituer une barrière réellement efficace contre les incursions? On pourrait également tester la sensibilité de l’éléphant de forêt à des sons de fréquences différentes, afin de mieux comprendre ce qui le gêne ou ce qui l'alerte dans la présence des abeilles..."  

Beaucoup de questions à résoudre, donc, avant de passer à des opérations concrètes à large échelle. Il faut aussi garder à l'esprit qu'Apis mellifera adansonii n'est pas prête de se laisser domestiquer, même pour les beaux yeux des chercheurs, des zootechniciens ou des villageois concernés. Mentionnée par Steeve Ngama dans ses travaux (1), une anecdote en dit long sur sa ténacité en cas de visite humaine inopportune. "Les abeilles dérangées lors de la collecte du miel (NDLR: sur les ruches expérimentales) continuaient à attaquer les intrus près de trente minutes plus tard à des distances de 200 mètres de la ruche, raconte l'expert. Certaines sont même allées au-delà de cette distance, nous poursuivant jusqu'à l'intérieur des véhicules". Et de recommander, en cas d'ouverture d'une ruche à haute activité pendant la journée, d'évacuer tout animal domestique et tout individu dans un rayon de... 250 à 500 mètres. En Afrique, avec ce genre d'hyménoptères, mieux vaut choisir la nuit pour s'approcher des chasseuses d’éléphants...

 

(1) Ceux-ci ont été publiés en mai 2016 dans Plos One, sous le titre "How Bees Deter Elephants: Beehive Trials with Forest Elephants (Loxodonta africana cyclotis) in Gabon". Steeve Ngama, Lisa Korte, Jérôme Bindelle, Cédric Vermeulen, John R.Poulsen.

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