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Les abeilles, bêtes noires des éléphants
21/11/2016

Le plus malin l'emportera...

Ces dernières années, les exploitants agricoles et les gestionnaires de faune ont rivalisé de créativité pour mettre au point des dispositifs dissuasifs "doux", destinés à décourager les éléphants dans leurs tentatives de s'en prendre aux cultures. Érection de barrières physiques ou végétales, installation de clôtures électriques, creusement de tranchées, utilisation de canons acoustiques ou olfactifs (projection de piments irritants), remise à l'honneur de techniques traditionnelles combinant utilisation du feu et surveillance collective des plantations, etc. Toutes ces méthodes, particulièrement en Afrique de l'Est (confrontée à des poches de surdensité), donnent des résultats plus ou moins encourageants selon les modalités et les lieux précis d'utilisation. Mais il y a un hic: "Nous avons affaire à un animal particulièrement intelligent. L’éléphant apprend vite... Dès qu'il a saisi le principe du mécanisme dissuasif, il trouve la parade et n'est plus effrayé".  

Il est vrai que la mécanique des relations homme/éléphant, au Gabon et ailleurs, est complexe. Et qu'elle se nourrit d'un autre type d'évolution, davantage anthropologique et liée, cette fois, aux conditions de vie dans les zones villageoises agricoles. "La surveillance des parcelles cultivées ne se pratique plus de manière aussi collective qu’autrefois. La présence humaine au champ, la nuit, a quasiment disparu au profit du découpage en parcelles individuelles surveillées par des agriculteurs isolés. Une forme d'individualisme a pris le pas sur la gestion collective de l'agriculture qui, jadis, apportait des bénéfices mutualisés. Et puis, la modernité s'est installée jusque dans les forêts les plus éloignées. Après tout, il en va des paysans gabonais comme des bergers de montagne, chez nous en Europe: la vie en ville (ou dans la vallée), connectée à l'électricité et à la télévision, est plus confortable que de longues nuits de veille passées à surveiller les troupeaux ou les cultures contre les loups (ici) ou les éléphants (là-bas)".

Des insectes contre le géant

C'est ici qu'interviennent les travaux de Steeve Ngama, doctorant depuis deux ans au Laboratoire de Foresterie tropicale et subtropicale à Gembloux Agro-Bio Tech (ULg) et chercheur à l’Institut de Recherches Agronomiques et Forestières du Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique à Libreville (Gabon). S'inspirant d'expérimentations analogues menées en Afrique de l'Est, Steeve Ngama a testé, sur le terrain gabonais, l'installation de « clôtures » originales. Ces dernières sont en effet constituées de ruches dont les abeilles sont présumées éloigner les éléphants. De novembre 2011 à février 2013, soit pendant soixante-dix semaines, il a observé le comportement des mammifères à l'approche d'une dizaine de ruches suspendues dans les arbres à un peu plus d'un mètre du sol. Ces deux espèces d'arbres ont été choisies en raison de leurs fruits très appréciés par les éléphants: Irvingia gabonensis et Sacoglottis gabonensis. L'expérience s'est déroulée dans le complexe de Gamba, connu pour abriter deux parcs nationaux (Loango et Moukalaba-Doudou, respectivement 1550 et 4500 kilomètres carrés) dont les périphéries sont fréquemment soumises à des conflits hommes/éléphants en raison de hautes densités de ces mammifères. L'espèce répulsive testée était Apis mellifera adansonii, la seule espèce d'abeille du genre Apis répandue en Afrique centrale. Pour observer la réaction des éléphants, des caméras à déclenchement automatique ont été installées à une distance de dix à vingt mètres des ruches.

Elephant foret ruche nuit  

"A partir du matériau photographique récolté (8151 photographies), nous avons répertorié différents types de comportements des éléphants, allant de la simple visite du site à la tentative de se rapprocher des ruches ou de les détruire, commente Steeve Ngama. Nous avons quantifié ces comportements en les corrélant à la présence des abeilles et leurs activités dans les ruches (certaines étaient vides, servant de ruches témoins). Ces activités étaient quantifiées selon le nombre d'entrées et de sorties –les « mouvements »- des abeilles par minute". Les résultats se sont avérés édifiants. "Nous avons d'abord constaté que la présence des fruits sur les arbres constitue bel et bien un puissant facteur attractif pour les éléphants, tant en nombre de visites que de durée de celles-ci. Nous avons ensuite observé que la simple présence des ruches, qu'elles soient en activité ou pas, réduisait considérablement (plus de 70 %) tant les visites du site que la durée de celles-ci. Mais le plus intéressant est que les éléphants semblent parfaitement capables de comprendre et de tenir compte du degré d'activité des ruches. Ainsi, lorsque celles-ci sont soumises à des entrées et sorties d'insectes supérieures à 70 mouvements par minute, les irruptions d'éléphants à proximité des arbres diminuaient de 84 % par rapport à des ruches peu animées, et la durée de fréquentation chutait, elle, de 92 %. On peut en déduire qu'Apis mellifera adansonii exerce clairement un pouvoir répulsif sur l’Éléphant de Forêt. C'est la première fois que ce résultat est établi sur cette espèce. Jusqu'ici, en matière d'abeilles utilisées à des fins répulsives, on ne disposait en effet que d'informations sur l’éléphant de savane, dont les mœurs sont sensiblement différentes de l’éléphant de forêt". Quant au motif qui pousse les éléphants à un tel comportement, il semblerait que ce soit le bourdonnement produit par les abeilles, que les éléphants perçoivent dans des gammes plus larges que les nôtres.

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