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Ecouter les poissons communiquer par 120 mètres de fond
07/04/2015

Depuis de nombreuses années le Pr Eric Parmentier - qui dirige le Laboratoire de Morphologie fonctionnelle et évolutive de l’Université de Liège - traque les sons émis par les poissons afin de mieux comprendre leurs modes de vie. Une étude récente, unique au monde, a permis d’utiliser les sons émis pour étayer la biodiversité et la répartition des poissons en différentes communautés. Ces recherches font l’objet d’une publication dans la revue américaine PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences).

(c)Laurent Ballesta - Micro grotteLe paysage sonore des poissons et sa répartition sont rarement étudiés. Si l’on sait aujourd’hui que les poissons émettent des sons (Lire : Nemo parle vraiment), peu d’études s’intéressent à la manière dont les poissons utilisent ce mode de communication pour se différencier les uns des autres. Grâce à un micro placé à 120 mètres de profondeur, l’analyse de 2793 sons a été réalisée par l’équipe. Ce travail de longue haleine visait à caractériser les sons pour mieux comprendre comment les différentes espèces  partagent l’environnement sonore pour éviter la cacophonie.

C’est au détour d’une rencontre avec un scientifique du Musée National d’Histoire Naturelle de Paris que le Pr Éric Parmentier se propose de joindre une mission scientifique dirigée par Laurent Ballesta, ancien collaborateur scientifique de Nicolas Hulot. Laurent Ballesta (Andromède-Océanologie), à la manœuvre de la réalisation d’un documentaire scientifique sur le Cœlacanthe (espèce marine dont la trace remonte à 350 Ma !) -  répond à la proposition d’Eric Parmentier de profiter de cette étude pour placer un micro sur le lieu d’observation. Il faut savoir que le Cœlacanthe ne vit qu’à deux endroits précis de la planète, dont la Baie de Sodwana au sud-est des côtes de l’Afrique du sud. C’est là que l’équipe décide de procéder à ses observations. C’est donc par 120 mètres de fond (le Cœlacanthe vit entre 100 et  800 mètres de profondeur) que le dispositif de l’équipe de Laurent Ballesta et le micro d’Eric Parmentier sont déposés, à l’entrée d’une petite grotte.

Pendant 15 jours le micro enregistre des milliers de sons. Près de 3000 sont analysés et répartis en 35 groupes. Parmi ceux-ci, 17 sont en nombre suffisant pour être soumis à des tests statistiques. Ces sons ont ensuite été minutieusement décryptés et ont permis de mettre au jour l’existence de deux communautés de poissons : ceux qui sont actifs le jour et ceux qui le sont la nuit. De plus, les sons des différentes communautés ne présentent pas les mêmes caractéristiques.

«Alors que la journée, les différents sons présentent des caractères qui ont tendance à se superposer, les sons émis la nuit présentent des différences plus marquées, les poissons développent clairement un comportement lié à la situation et les sons qu’ils émettent sont bien distincts » souligne le Pr Parmentier. « Cette différence s’explique certainement par le fait que la journée les poissons ont une visibilité (même à 120 mètres de profondeur), ils peuvent alors user de parades pour communiquer avec les leurs ; les sons ont pour principal rôle de renforcer le message visuel. Par contre la nuit, ils sont  enfermés dans une obscurité absolue qui les oblige à « affiner » leur communication pour s’identifier clairement des autres espèces. »

Les résultats de ces « auditions » permettent également d’ouvrir des pistes de réflexions sur l’impact que peuvent avoir les sons anthropiques sur ces communautés de poissons. « Dans nos enregistrements, nous avons pu clairement identifier des bruits de moteurs  de bateaux et d’autres bruits induits par une activité humaine, explique Eric Parmentier. « Nous avons alors constaté que ces derniers pouvaient masquer par moment ceux des communautés étudiées. Ce qui veut dire que cela doit clairement perturber leurs communications et donc le mode de vie ».  Une réflexion qui pourrait être à la base d’une prochaine mission.

nemo

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(ULg-Reflexions 05/09/2007)

Depuis Aristote, on sait que les poissons émettent des sons. Ce mode de communication repose sur plusieurs mécanismes complexes. Grâce à une technique originale, des chercheurs de l’ULg ont montré que les poissons-clowns produisent des messages sonores par voie buccale.

(1) Laëtitia Ruppé , Gaël Clément, Anthony Herrel, Laurent Ballesta, Thierry Décamps, Loïc Kéver and Eric Parmentier, Environmental constraints drive the partitioning of the soundscape in fishes, PNAS, April 2015

 

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