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Harcèlement au travail : n’oubliez pas l'entourage !
26/06/2012

Le poids « des autres »

L’analyse du groupe entourant Xavier et Anne révèle également une autre évolution de la situation : même les collègues qui, au début, étaient plutôt favorables à Xavier… ont fini par soutenir Anne. Ce soutien apporte un côté symétrique aux relations entre les protagonistes. Mais, au final, il conduit aussi Xavier à se vivre dans une position de victime… En effet, les collègues, relativement passifs lorsque la relation entre Xavier et Anne a commencé à déraper, interviennent désormais pour marquer leur désaveu. Du coup, Xavier a beau jeu de signaler que « personne ne voit tout ce qu’elle fait pour me blesser ».

« En fait, peu à peu, le groupe a fini par isoler Xavier. Lors de notre intervention, il se trouvait d’un côté et tous les autres, de l’autre », rapporte le Pr Adelaïde Blavier. « Je suis devenu le mouton noir », clame donc Xavier, se décrivant comme un bouc-émissaire. Un de ses collègues donne finement une des clés de cette situation paradoxale : « Grâce à son rôle essentiel dans le service, Xavier a longtemps pu faire tout ce qu’il voulait. Face à l’importance des compétences de Xavier, les souffrances d’Anne n’avaient alors aucune valeur ». Visiblement, à un moment donné, la situation a basculé. En faveur d’Anne.

Le rôle du contexte

Les explications des collègues, qui décrivent un climat général de tension dans le service, un manque de cohésion, outre une ambiance « gâchée » par cette affaire, viennent en tout cas confirmer les travaux des auteurs qui signalent que « les conflits dans un groupe, tout comme le manque de cohésion en son sein, font partie des facteurs de risques des situations de harcèlement, sinon une de ses causes », remarque le Pr Blavier. L’enquête menée sur le terrain, montre effectivement que l’attitude de la hiérarchie et du management a joué un rôle important dans l’installation et le maintien de la situation de harcèlement.

Cependant, comme celle de l’équipe, la réaction du management a évolué au fil du temps. Quelques années plus tôt, Anne était plutôt mal considérée : dans ce contexte, ses difficultés avec Xavier ont peu attiré l’attention des managers. Tous les interlocuteurs s’accordent également à convenir que le responsable du service n’a pas vraiment tenté de résoudre le problème : longtemps, il a laissé Anne et Xavier se débrouiller. Or, à présent, Anne considère que le management penche de son côté. Elle  croit même qu’il va être demandé à Xavier de changer d’attitude. Xavier, lui aussi, perçoit un changement. Selon lui, désormais, le management s’engage en faveur d’Anne et le désavoue, « en réagissant de manière exagérée à un soi-disant problème de harcèlement ».

« Sur ce point-là, à nouveau, précise Adélaïde Blavier, les interviews confirment ce que rapportent des études précédentes : la non-réaction des supérieurs hiérarchiques constitue un facteur aggravant pour les victimes. » Dans cette entreprise, le manque de communication et l’attitude d’un management laissant chaque employé se débrouiller avec ses propres problèmes, ajoutés au climat de compétition régnant entre les différents départements, n’ont probablement pas constitué, non plus, des éléments protecteurs contre un harcèlement…

Un retour de bâton

En tout cas, Xavier ne se trompe pas dans sa perception du changement managérial. Lui qui, auparavant, était bien noté, s’est vu refusé une promotion et une augmentation de salaire, pourtant promises auparavant. En plus de la mauvaise réputation qu’il traîne désormais, il se sent donc « puni ».

Harcelement-1

Au fait, cette décision hiérarchique sanctionne-t-elle une aggravation de l’attitude de Xavier à l’égard d’Anne ? Adélaïde Blavier suggère plutôt une autre hypothèse : c’est davantage la perception de la personnalité de Xavier et de son comportement qui a changé aux yeux de son entourage. La preuve ? Une lettre, qu’il avait envoyée à Anne sept ans plus tôt, n’avait pas, à l’époque, été considérée comme vraiment problématique (ce qu’elle était aux yeux d’Anne). Ou elle était passée pour ironique. Or voilà qu’à présent, elle est jugée inacceptable. C’est donc la valeur attribuée à certains actes qui a évolué dans l’organisation : ce qui était « jouable » avant… ne l’est plus.

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