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Merci les gorilles !
26/01/2016

La canopée ouverte, gage de succès

canopeeMerci les gorilles? C'est évidemment le commentaire qui vient le plus spontanément à l'esprit. Si ces primates n'étaient pas là et, surtout, s'ils ne contribuaient pas (comme d'autres espèces animales) à disperser considérablement des graines fertilisées  par leurs matières fécales (fournissant éléments minéraux et humidité), celles-ci auraient moins de probabilités d'évoluer vers des plantules saines et vigoureuses et, ensuite, vers des végétaux aptes à répondre aux besoins humains. D'autant qu'une troisième observation est venue corroborer ce constat: les plantules se développement sensiblement mieux sous une canopée ouverte qu'en forêt, où la lumière pénètre moins profondément. "L'effet positif du dépôt de graines dans les habitats ouverts avait déjà été évoqué, mais c'est la première fois que le rôle de la lumière est directement démontré. Pour quantifier celui-ci, j'ai utilisé des photographies hémisphériques de la canopée (à 360°C) réalisées verticalement à partir du sol. Des logiciels m'ont permis de transformer les clichés en images contrastées noir/blanc, traduisant un certain taux d'ouverture de la canopée. Il est apparu que les sites de nidification des gorilles se caractérisent par une ouverture de 7 à 10%. En dehors de ces sites, là où la canopée est fermée, on est seulement à 2 ou 3%. La différence paraît faible, mais elle est déterminante: les plantules se développent deux à dix fois plus rapidement dans les sites ouverts. La luminosité en forêt tropicale est vraiment un facteur fondamental..."

Les gorilles vont donc déposer les graines consommées là où elles ont le plus de chance de se développer: à la lumière. Ils sont des acteurs directs de la dispersion dirigée. Cette découverte est fondamentale: elle semble démontrer que les populations de gorilles des plaines de l'Ouest, qui peuvent être résilientes à l'exploitation forestière telle qu'elle se pratique le plus souvent en Afrique centrale (c'est-à-dire sélective), jouent au sein des forêts exploitées un rôle déterminant dans la dispersion des graines, tant sur le plan quantitatif que qualitatif.

Le privilège des forêts certifiées

De là à dire que les gorilles manifestent une préférence pour les trouées d'abattage et contribuent directement à favoriser la régénération naturelle de la forêt exploitée par l'homme, il y a un pas qu'il est trop tôt de franchir. "Sur les quatre années, j'ai réalisé trois inventaires de nids: une fois juste avant le passage des exploitants, une deuxième fois six mois après leur passage et, enfin, douze mois après celui-ci. J'espérais constater une occupation préférentielle des trouées d'abattage par les gorilles. Ceci aurait accrédité l'idée que l'exploitation, lorsqu'elle est pratiquée de manière durable, est bénéfique aux gorilles car elle crée des habitats nouveaux pour eux. Cela n'a pas été le cas, mais sans doute était-ce trop tôt: les herbacées avaient pas encore eu le temps de se régénérer suffisamment. A mon avis, c'est une question de temps..."

Si elle se vérifie, cette observation reposera toutefois sur un bémol important. Les travaux de Barbara Haurez ont en effet été réalisés dans une concession forestière certifiée. Cela signifie que l'entreprise exploitante y met en œuvre une batterie de mesures de conservation de la faune et de la flore, notamment en termes de lutte contre le braconnage. En échange de celles-ci, elle bénéficie d'un label (en l'occurrence le FSC) certifiant une gestion durable. Ainsi, pour dissuader les villageois et les ouvriers forestiers installés dans les camps de chasser en excès les animaux sauvages, des protéines animales sont régulièrement mises à disposition  sous la forme de poulets ou de poissons congelés. De même, pendant l'exploitation des parcelles désignées, des patrouilles de surveillance arpentent régulièrement les pistes utilisées par les camions de débardage afin d'y dissuader toute utilisation par les braconniers. Ensuite, après utilisation (chaque parcelle forestière est exploitée tous les vingt-cinq ou trente ans), les pistes sont fermées à la circulation. Etc, etc.

Ce n'est que dans des conditions comme celles-là (idéales sur le papier mais, en réalité, en perpétuelle adaptation - lire L'exploitation forestière, entre le marteau et l'enclume), que la survie du gorille et l'exploitation forestière pourraient être déclarées, un jour, parfaitement compatibles. Or, à l'heure actuelle, seule une minorité de concessions forestières d'Afrique centrale sont certifiées...

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