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La Méditerranée, toxique pour les baleines
27/11/2015

La Méditerranée, carrefour des civilisations et lieu de villégiature privilégié, est aussi un gigantesque dépotoir dans lequel une large gamme de polluants se mélange à la faune et à la flore marines. Une vaste étude, dont les résultats viennent d’être publiés (1), menée entre 2006 et 2013 par l’Université de Liège et le WWF notamment(2), a révélé un degré alarmant de contamination à certains polluants lipophiles de trois espèces de baleines évoluant en Méditerranée, à savoir le globicéphale ou baleine-pilote, le cachalot, et le rorqual. Cette étude est remarquable et inédite tant par son ampleur que par son objet et par la méthode utilisée pour prélever les échantillons. En effet, ce sont au total 70 polluants organiques persistants qui ont été recherchés (et détectés) dans pas moins de 180 prélèvements de peau et de blanc de baleine issus de 61 cachalots (Physeter Macrocephalus, 14 femelles et 47 mâles), 49 globicéphales (Globicephala Melas, 23 femelles et 26 mâles), et 70 rorquals (Balaenoptera Physalus, 35 femelles et 35 mâles). Un tel dépistage sur une aussi large palette de polluants est inhabituel. Par ailleurs, l’étude se distingue par la méthode de prélèvement utilisée puisque les échantillons proviennent de sujets vivants en lieu et place des habituelles carcasses échouées. Les résultats obtenus viennent souligner la nécessité cruciale de poursuivre les efforts dans la lutte pour l’interdiction de ces polluants rémanents et le contrôle du respect des législations allant dans ce sens.

rorqualOn ne saurait aborder les baleines de Méditerranée et leur intoxication par des polluants lipophiles (non solubles dans l’eau) rémanents (polluants organiques persistants ou POPs) sans évoquer en premier lieu leur environnement particulier : la mer Méditerranée. Historiquement, l’Université de Liège et son Laboratoire d’océanologie ont depuis longtemps développé des recherches dans cette zone, notamment grâce à la station océanographique STARESO, située en Corse. « Il y a toujours eu un attrait pour la Méditerranée car c’est une mer et en même temps un petit océan qui connaît des circulations particulières. Au niveau océanographique, c’est un site vraiment très important qui suscite énormément de questions scientifiques», explique Krishna Das, Maître de Conférence à l’Université de Liège, chercheur qualifié au FRS – FNRS et membre du Laboratoire d’océanologie de l’ULg. La Méditerranée se distingue également par sa situation géographique particulière puisque sans être une mer intérieure, elle n’en reste pas moins entourée de terres. Ce sont en effet « vingt-et-un pays qui bordent la Méditerranée et qui y ont des activités économiques plus ou moins polluantes. C’est ce qui rend l’étude de cette mer aussi pertinente sur le plan des écosystèmes et de la lutte contre la pollution », précise Marianna Pinzone, premier auteur de l’étude, et chercheur en écotoxicologie marine à l’ULg. Or, parmi ces 21 pays, on relève des législations radicalement différentes sur le plan de l’utilisation des polluants examinés ici. En effet, la plupart des pays d’Europe ont interdit l’usage des PCB en particulier depuis environ quarante ans. D’une façon plus générale, la plupart des Etats dans le monde ont souscrit à cette interdiction avec la ratification et la mise en application de la Convention de Stockholm. Cependant, des pays rechignent encore comme l’Italie, seul membre de l’Union européenne et seul Etat européen dans ce cas. « Au niveau mondial, beaucoup de pays ne se sont pas engagés non plus. Par exemple, en Asie, au Cambodge, on utilise encore le DDT, un pesticide qui n’est plus autorisé en Europe depuis des décennies, car c’est un moyen efficace de lutter contre la malaria. Il existe des dérogations. » Le même phénomène s’observe autour de la Méditerranée avec au nord des pays industrialisés de longue date, portant un lourd historique de recours à des substances chimiques industrielles, et au sud des pays dits émergents dans lesquels la prise de conscience touchant le respect de l’environnement n’en est encore qu’à ses débuts. En outre, les côtes de la Méditerranée se caractérisent par un fort taux d’urbanisme. On estime qu’elles seront peuplées de près de 530 millions d’habitants à l’horizon 2025. L’ensemble de ces considérations permet de comprendre en quoi la Méditerranée constitue un véritable bouillon de culture peu ragoûtant pour ses occupants, dont les globicéphales ou baleines-pilotes, les cachalots et les rorquals.

caine trophique POP

(1) POPs in free-ranging pilot whales, sperm whales and fin whales from the Mediterranean Sea: Influence of biological and ecological factors, M. Pinzone et al. Environmental Research, 2015.
(2) L’étude a été menée conjointement par trois laboratoires liégeois d’une part, le Laboratoire d’Océanologie, le Laboratoire de Spectrométrie de Masse (Pr. Gauthier Eppe, le Laboratoire d’Ecologie Animale et d’Ecotoxicologie (Pr. Jean-Pierre. Thomé, et par trois organismes français d’autre part : l’Université de Bordeaux (Institut des sciences moléculaires et le Laboratoire de physico et toxico-chimie de l’environnement) et le CNRS EPOC (Environnements et Paléo-environnements Océaniques et Continentaux).

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