Le site de vulgarisation scientifique de l’Université de Liège. ULg, Université de Liège

La Méditerranée, toxique pour les baleines
27/11/2015

Pour l’heure, ces résultats démontrent que le profil de contamination de ces mammifères ne dépend pas exclusivement de leur place dans la chaîne alimentaire. Il faut aussi confronter ces données au sexe et à l’âge. Si les analyses reflètent que d’une manière générale, ce sont plutôt les mâles qui sont victimes des polluants organiques persistants, l’étude révèle par ailleurs que ce sont les plus jeunes qui ont à en souffrir le plus, parfois même jusqu’à l’issue tragique. « Le problème avec la population juvénile est qu’il y a un transfert très important de ces molécules (NDLR : PCB, DDT, et autres) vers la progéniture, aussi bien par voie placentaire, pendant les 12 ou 13 mois de grossesse des mères, que par la lactation », explique Krishna Das. « C’est encore plus efficace par la lactation car elles émettent un lait qui est très riche en lipides, très dense et donc le transfert est favorisé. Chez certaines espèces de dauphins, certains auteurs ont émis l’hypothèse que le taux de transfert de la mère à son premier né est tel que cela peut  occasionner la mort du fœtus. C’est avec le premier né que la mère se décharge d’un maximum de polluants, pouvant aller jusqu’à 80% de la charge totale. Les transferts s’amenuisent ensuite avec les suivants. » Les conséquences possibles à court terme de la nature rémanente des polluants organiques persistants sont graves et nombreuses : augmentation du taux de mortalité, fausses couches, maladies, morts à la naissance, malformations et difformités de la progéniture, affaiblissement des défenses immunitaires et augmentation du risque de maladie. A long terme, il est probable que cela constitue une entrave à la reproduction. D’ailleurs, ainsi que nous le rappelle Krishna Das, « les populations ont déjà baissé depuis le stock recensé au XVIIIe siècle. Il faut se dire que ces populations de baleines ont une histoire lourde ! Il y a d’abord eu les captures par les industries baleinières qui ont fortement impacté un grand nombre d’espèces. Les cachalots étaient régulièrement chassés. Les populations étaient déjà alors sous leur effectif d’il y a 200-300 ans. A cela sont venus se rajouter d’autres maux parmi lesquels la pollution chimique mais il y en a encore bien d’autres (pollution sonore, capture en filet, perturbations dues à la navigation). Autant de facteurs de stress qui peuvent à long terme mettre en péril la survie des espèces, ou en tout cas leur bien-être. » Au-delà des mammifères marins, on sait maintenant que ces polluants lipophiles constituent un réel danger pour l’homme également puisqu’il s’agit de perturbateurs endocriniens qu’à l’instar des baleines nous avons dans nos tissus. « Ils peuvent affecter la puberté chez les adolescents. Ces polluants sont également considérés comme obésogènes. » (Lire à ce propos : Puberté précoce et DDT)

resultats POP

Quelles solutions ?

Face à ce constat, des parades doivent impérativement être mises sur pied. L’interdiction progressive un peu partout dans le monde des PCB et DDT, les deux polluants lipophiles dominants en terme de concentration dans l’espace maritime, a contribué à améliorer significativement la situation. « Auprès des espèces, il est difficile de comparer les niveaux de pollution d’une époque à l’autre car les techniques analytiques ont beaucoup évolué. Les niveaux sont cependant beaucoup plus bas. Chez certaines espèces utilisées comme sentinelles, on constate une diminution sur les 40 ans qui ont suivi l’interdiction des PCB » mais le problème est qu’ « on a désormais atteint un plateau et que pour pouvoir incurver encore ce plateau il faut davantage d’efforts. » Il faudrait notamment un meilleur contrôle des sources. La législation, même si elle existe, a peu de chances de faire évoluer les choses si en aval il n’est prévu aucun mécanisme de contrôle. « Les PCB sont toujours présents dans l’environnement ; ils ne sont plus autorisés mais il y a toujours l’utilisation de vieux équipements qui en contiennent dans les pays émergents. Au Brésil, on vole des stocks de vieux PCB dans les usines. Donc si on les vole, c’est qu’il y a une demande, probablement via le marché noir. » Ces polluants font donc l’objet d’une utilisation souterraine qu’il faudrait absolument pouvoir endiguer.

D’autant que les PCB et DDT ne sont pas les seuls polluants à devoir être mis en cause. Beaucoup de rejets en mer et dans l’atmosphère sont diffus. Les composés apparentés aux dioxines par exemple, la dioxine et le furane, sont également pointés du doigt. Les niveaux en tant que tels sont relativement faibles mais sont liés à toute activité de combustion. « Quand on brûle des déchets dans son jardin, on émet des dioxines et des furanes et les feux de forêt en sont des sources naturelles. » D’autres sources ne sont quant à elles pas du tout naturelles et rappellent que si l’on souhaite une législation efficace, il faut agir aussi bien en aval qu’en amont, ce qui signifie qu’il faudrait pouvoir anticiper l’apparition sur le marché de nouveaux polluants venus remplacer ceux qui sont interdits. A cet égard, l’étude réalisée par Marianna Pinzone et ses collègues a été la plus exhaustive possible en recherchant des polluants qui ne sont pas interdits et toujours utilisés. « On a interdit les PCB mais de nouvelles molécules ont été créées, qui ressemblent curieusement aux anciennes et ont donc des actions comparables. Les retardateurs de flamme par exemple (PBDE soit les polybromodiphényléther) ont été analysés. Il y en a beaucoup disséminés un peu partout dans les foyers (mobilier, tissus, etc). » Cela dit, le groupe de polluant principal en termes de concentration reste les PCB suivi des DDT. Mais tous les autres sont détectables et ont été détectés. « Nous sommes actuellement face à un cocktail. Or justement ce que l’on connaît moins bien ce sont les effets combinés de ces polluants entre eux. »

L’étude et la préservation des mammifères marins représentent donc un véritable enjeu pour l’avenir. Ces espèces sont emblématiques et rappellent que la santé de l’homme est intrinsèquement liée à celle de son environnement.

Page : précédente 1 2 3

 


© 2007 ULi�ge