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Percer les secrets de la forêt gabonaise
11/16/15

Fiche guide Gabon2Patiemment mis en place ces douze dernières années, ce système win-win ne favorise pas seulement la mise en œuvre d'une sylviculture durable dans ces régions, un peu trop souvent qualifiées - à tort - de "forêts vierges". Il permet, aussi, la tenue de travaux scientifiques dans l'ensemble du bassin du Congo qui, tôt ou tard, sont publiés dans les meilleures revues internationales. Des exemples? "Au Gabon, une de nos doctorantes, Barbara Haurez, étudie les interactions entre l'exploitation forestière et les gorilles. Dans sa thèse qu'elle défendra prochainement, elle montre qu'en l'absence de braconnage, les gorilles dispersent préférentiellement les graines dans les trouées d'abattage où ils aiment établir leurs nids. Les graines présentes dans les fèces y trouvent des conditions de germination et de croissance idéales. Un  autre doctorant, Armel Donkpegan,  travaille sur l'Afzelia encore appelé Doussié (Afzelia bipindensis, Afzelia africana, Afzelia pachyloba, Afzelia bella), un arbre dont la Belgique est un des plus grands importateurs mondiaux. Il tente de mieux comprendre sa diversité génétique et le mode de dispersion des graines. Avec l'aide d'un étudiant, Quentin Evrard, il a découvert que divers rongeurs, et plus spécifiquement le Cricétome de forêt (Cricetomys emini), exercent une grande prédation sur les graines d'Afzelia. Grâce à des pièges photographiques infrarouges, ils ont réussi à mettre en évidence les heures exactes où cette prédation s'exerce d'une façon maximale, de nuit comme de jour. Curieusement, l'Afzelia ne semble pas en pâtir. Peut-être parce que les rongeurs perdent des graines en les transportant vers leurs terriers... Un autre doctorant, Felicien Tosso, se penche, lui, sur le Kézavingo (Guibourtia tessmannii et G. pellegriniana), un arbre très imposant (jusqu'à 60 mètres de hauteur et 2 mètres de diamètre), sacré aux yeux des populations Pygmées et typique des forêts denses humides à variante sempervirente, telles qu'on les trouve au Gabon. L'année dernière, le Ministère des Forêts a dû renforcer la surveillance sur cette espèce, car elle se régénère difficilement et est souvent abattue illégalement par les petits exploitants (http://gabonreview.com/blog/les-contrebandiers-kevazingo-du-gabon/). D'après les premières observations et analyses réalisées par nos collègues chimistes, la régénération difficile du Kézavingo pourrait s'expliquer par la présence, dans l'enveloppe de la graine, d'une molécule volatile aphrodisiaque. Celle-ci agirait comme un facteur attractif pour les rats, qui les consomment et verraient ainsi leur activité sexuelle augmenter. En discutant avec les villageois, notre chercheur a réalisé que l'écorce de l'arbre est elle-même utilisée comme aphrodisiaque "humain". Que ce soit sous les dénominations d'Afzelia ou de Kévazingo, coexistent plusieurs espèces différentes qui sont souvent vendues sous la même appellation commerciale. Pourtant de nombreuses différences les séparent, lesquelles se répercutent jusque dans les gènes. En effet, alors que certains Doussié sont diploïdes, d'autres sont polyploïdes; et c'est la même chose pour les Kévazingo. Certains sont pollinisés par les insectes d'autres s'auto-pollinisent. En collaboration avec une équipe de l'ULB (Evolutionary Biology & Ecology), nous parvenons à reconstituer l'histoire évolutive des taxons et donc, finalement, de la forêt: ce qui est important dans le contexte actuel de changement climatique".

Il arrive même que l'équipe de Jean-Louis Doucet découvre de nouvelles espèces. C'est le cas de l'Iroko, un arbre - certes bien connu - qui produit un bois dont les caractéristiques rappellent le chêne, mais le chercheur Kasso Dainou a montré récemment qu'il n'en existait pas deux mais bien trois espèces, dont l'une se retrouve dans l'est du Gabon. "Il va déjà falloir actualiser notre bouquin..." Des détails, toutes ces découvertes? Certainement pas. Elles peuvent en effet exercer un impact majeur sur les politiques de conservation et de gestion forestières des pays concernés. Par exemple, la reconstitution des flux de gènes au sein d'une population d'arbre permet de définir des intensités maximales d'exploitation à respecter: on évite ainsi des pertes de diversité génétique. Une meilleure connaissance de l'écologie de reproduction des arbres permet également d'affiner les programmes de régénération mis en œuvre par les entreprises forestières certifiées.

Mais les travaux menés par l'équipe de foresterie tropicale au Gabon s'étendent bien au-delà des forêts communautaires et des concessions forestières. Par exemple, sous la supervision du prof. Cédric Vermeulen, le doctorant Steeve Ngama tente de trouver des solutions pour réduire les conflits homme-éléphant et la doctorante Pauline Gillet étudie les points de basculement, c'est-à-dire les seuils critiques au-delà desquels la pression sur la forêt est telle que la dégradation devient irréversible. Les forêts encore relativement préservées du Gabon permettent de fournir une care de référence pour des comparaisons régionales.

De Franceville à Kinshasa: des étudiants plus mobiles

A l'instar de celles qui se déroulent dans l'ensemble du bassin du Congo, les recherches menées au Gabon s'articulent autour d'un principe clef cher à Jean-Louis Doucet: la constitution d'équipes Nord-Sud, dans lesquelles la représentation des chercheurs africains se veut la plus importante possible. "Sur les 14 doctorants de notre équipe, la moitié proviennent d'une université africaine", se félicite le Professeur. Qui ne cache pas son intention, fort des chaires d'enseignement que lui-même et certains collègues occupent déjà à l'ERAIFT (Kinshasa, RDC), de mettre prochainement sur pied, au Gabon, un programme d'enseignement régional spécialisé dans la gestion durable des forêts tropicales. Par "régional", il faut entendre une zone allant de Franceville (Gabon) à Kinshasa (RDC) en passant par Brazzaville (République du Congo) et dans laquelle, à la faveur d'un réseau routier de plus en plus sophistiqué, Jean-Louis Doucet entend multiplier les échanges d'expériences entre les étudiants inscrits à Gembloux et ceux inscrits dans les universités des pays concernés: l'Université des Sciences et Techniques de Masuku (Franceville) et l'École Régionale Post-Universitaire d'Aménagement et de Gestion Intégrés des Forêts et Territoires Tropicaux (Kinshasa). "L'idée consiste à mutualiser les moyens respectifs de chaque établissement, mais aussi à brasser des étudiants tant d'origine géographique différente que de niveaux de formation différents. Le tout, dans un esprit de coopération Nord/Sud. La qualité de la formation des uns et des autres (une dizaine d'étudiants gembloutois et une vingtaine d'étudiants africains) ne peut que sortir gagnante de rencontres plus fréquentes entre les étudiants et les acteurs de terrain: exploitants, scieurs, aménagistes, conservateurs, etc. De quoi renforcer, par ailleurs, les stages et les travaux de fin d'études in situ tels qu'ils existent déjà". L'organisation des formations est en pleine maturation. Il reste à mettre au point les modalités financières de cette formation à trois. Échéance prévue: l'année académique 2016-2017.

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