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Vendetta en Hesbaye liégeoise
02/09/2014

Dans deux tomes (1) de la revue Le Moyen Âge, Christophe Masson raconte en détails la guerre des Awans et des Waroux qui se déroule en principauté de Liège durant le premier tiers du XIVe siècle. Un épisode de l’histoire liégeoise rarement étudié, et dont la relation par les chroniqueurs anciens fait la part belle aux légendes. Christophe Masson, au contraire, approche au plus près les événements et leurs conséquences, quitte à écorner quelque peu notre imaginaire médiéval tout entier empli de preux chevaliers se défiant en tournois pour leurs dames et vivant dans des châteaux imprenables. Une guerre aussi qui ne restera pas sans conséquence sur l ‘avenir de la principauté puisque le seul vainqueur en a été le prince-évêque.

Armoiries Awans WarouxLa Hesbaye liégeoise, du fait de la richesse de ses sols, a nourri une aristocratie nombreuse. Même s’il faut s’entendre sur le sens de ce dernier mot. Il ne s’agit pas ici de grandes familles aristocratiques habitant de puissants châteaux fortifiés et possédant des terres immenses, mais plutôt d’une petite noblesse, souvent plus proche des paysans que des grands seigneurs. Mais en principauté, ce sont eux qui font office de chevaliers, prennent part aux combats et dirigent en quelque sorte la vie dans les campagnes. Ils n’habitent pas dans des châteaux mais plutôt dans des tours comme à Waroux ou dans des maisons fortes, exploitations agricoles plus ou moins fortifiées. Cela dépend des ressources de chacun. « Qui dit aristocratie au Moyen Âge dit volonté guerrière exacerbée, explique Christophe Masson, rattaché au département "Transitions. Département de Recherches sur le Moyen Âge tardif & la première Modernité" de l’Université de Liège. On trouve donc à cette époque des Hesbignons sur les principaux champs de bataille européens, en Aragon, à Naples, en Flandre, en France, etc.  Il y a une culture de la guerre prononcée. La guerre entre Awans et Waroux est un des moments où cette culture se manifeste clairement. »

Comme souvent dans ce climat de guerre exacerbé, une étincelle suffit à mettre le feu aux poudres. En 1297, sur les terres du seigneur d’Awans, Humbert Corbeau, vit une riche serve qu’il destine en mariage à l’un de ses familiers. Mais un certain Hannecheaz, cousin de Guillaume, seigneur de Waroux, enlève la belle, consentante, et l’épouse. C’est un casus belli, d’autant que, d’après ce qu’on en sait, le seigneur d’Awans a une volonté de domination sur le reste de la noblesse hesbignonne. Pour Christophe Masson, le rapt de la serve est évidemment un prétexte : « elle n’est connue par personne, aucun chroniqueur fiable ne la nomme et tous s’en désintéressent ; on peut en déduire qu’elle a vécu sa vie avec son mari dans l’indifférence totale ; c’est donc très mineur comme événement semble-t-il. Si cela tombe le vol d’un bœuf aurait pu avoir la même conséquence ! ». Mais il existait des tensions entre plusieurs participants à la guerre et il est donc vraisemblable que le rapt a servi de prétexte pour vider des querelles latentes.  D’où sans doute sa durée puisque le règlement du conflit n’aura lieu qu’en 1335 !

Guérilla

Pendant près de 40 ans, les deux familles –au sens large du terme, il faudrait peut-être écrire clan- vont se livrer à une guerre émaillée de nombreux combats. Ici aussi, il faut s’entendre sur la signification du terme : « Sauf exceptions, explique Christophe Masson, comme par exemple la bataille de Crécy ou les croisades, le Moyen Âge n’est pas une période où s’affrontent des armées de la taille de celles qu’on connaît aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les armées sont principalement composées d’aristocrates, c’est-à-dire une frange réduite de la population et, parmi eux, tous ne prennent pas part aux combats. Dans le cas qui nous occupe, les combats mobilisent donc au maximum quelques centaines de combattants, et il n’y que trois ‘grandes’ batailles tout au long de cette guerre : celle de Loncin en 1298, de Waremme en 1313 et Donmartin en 1325, les seules où s’affrontent deux armées de cavaliers avec des charges comme on les imagine. »

Hormis ces batailles, qui ne décideront d’ailleurs pas de l’issue du conflit, cette guerre est plutôt une série de coups de mains, d’assauts rapides, de guet-apens, d’assassinats ciblés, de conquêtes de maisons, d’incendies de récoltes. Comme c’est d’ailleurs la règle dans toute l’Europe pendant le Moyen Âge. Ce sont ces caractéristiques qui donnent sa vigueur au conflit : il n’aurait pas pu y avoir trente ans de grandes batailles successives.

(1) Christophe Masson, La guerre des Awans et des Waroux. Une ‘vendetta’ en Hesbaye liégeoise (1297-1335), in Le Moyen Âge, De Boeck, tome CXIX, 2/2013 et 3-4/2013.

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