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Vendetta en Hesbaye liégeoise
02/09/2014

Adoule Hannecheaz Awans WarouxQuant aux ‘grandes’ batailles, ici aussi, il faut brider quelque peu son imagination. « Il n’y a pas d’utilisation d’armes de siège car les objectifs sont trop restreints. Mais on peut insister sur le fait que ces guerres-là se font à cheval. On est encore à l’époque de la chevalerie triomphante. C’est une question de rapidité et d’efficacité. Il existe certes des fantassins, bourgeois ou roturiers, mais ils sont souvent là parce qu’ils doivent un service à leur seigneur ; leur rôle n’est pas capital. Ces corps de fantassins ne sont que rarement capables de renverser les événements. Souvent, la bataille tourne au combat singulier. Il faut se mesurer à celui qui est son pire ennemi. C’est la logique du combat chevaleresque tel qu’on le connaît à travers la chanson de geste ou le roman. »

Qui est sorti vainqueur ? « Aucun des partis, sourit Christophe Masson. C’est une guerre qui aurait pu se régler sans l’intervention du prince-évêque. Et cela se déroule ainsi pendant les 15 premières années du conflit. Les princes évêques du moment ne s’impliquent pas dans le conflit car ce sont aussi des nobles ; ils considèrent qu’une guerre est quelque chose de logique, de normal tant que leur pouvoir n’est pas remis en cause. »

Mais c’était sans compter avec l’arrivée, fin 1313, sur le trône épiscopal d’Adolphe de La Marck, personnage d’une toute autre ampleur que ses prédécesseurs immédiats. Il est partisan de la ‘centralisation’ des pouvoirs et se verrait bien établir un pouvoir princier autoritaire sur la Principauté. A sa montée sur le trône, il est cependant trop jeune (25 ans) pour affronter les familles de front, mais il va tenter de se concilier un des deux partis en alternant les sympathies. Il va ensuite bientôt conduire sa propre politique qui consiste à soutenir un des partis pour affaiblir l’autre et non plus pour le renforcer. En les affaiblissant ainsi tour à tour, il les contraint à signer une paix en 1335. Les deux lignages sortent du conflit ruinés et/ou dépeuplés et affaiblis politiquement. « Le seul vrai vainqueur, c’est le prince-évêque ! ».

Vendetta

A lire dans l’ouvrage de Christophe Masson les nombreuses péripéties des trente années de conflit, on songe évidemment à une vendetta interminable transmise de pères en fils et dont les protagonistes ont oublié la cause depuis longtemps. « C’est exactement cela, explique l’historien liégeois. Et ne croyez pas que c’est réservé aux régions du Sud ; la vendetta existe dans toute l’Europe. C’est presqu’une institution inscrite dans les mœurs de l’aristocratie et même de la roture. Dès lors que vous subissez un tort, il est admis que vous répariez ce tort vous-même, sans passer par une institution centrale. Il y a évidemment des limites ; certains cas sont réservés au pouvoir épiscopal ou princier temporel. Mais dans le cas de l’aristocratie, dès lors qu’il y a un meurtre par exemple, il est licite de prendre les armes et d’aller venger la victime. C’est évidemment une pratique contre laquelle les princes essaient de lutter car cela dépeuple et affaiblit l’aristocratie alors qu’ils en ont besoin pour leurs armées. Mais c’est un combat de longue haleine. » Pourtant, la guerre des Awans et des Waroux va avoir une conséquence dans ce domaine aussi. L’issue du conflit est en effet marquée par la création par le prince-évêque en 1334 d’un tribunal responsable du règlement de ces querelles pour éviter qu’elles ne dégénèrent en guerres familiales. Un tribunal immédiatement rejeté par la noblesse car il confie en grande partie les jugements à des bourgeois plutôt qu’à des nobles. Pour ces derniers c’est une insulte et, en réaction, ils organisent eux-mêmes leur tribunal, bientôt reconnu par Adolphe de La Marck. Appelé Tribunal des Douze car il est constitué d’autant de juges, tous nobles, six de chaque parti, il devient une institution dépendant du prince-évêque. Le fait qu’au départ il ne soit constitué que de nobles appartenant aux deux lignages impliqués dans la conflit montre bien l’importance de la noblesse hesbignonne à cette époque en Principauté : il semble n’y avoir guère eu de place pour d’autres familles ! Le tribunal disparaît en 1467 lorsque Charles le Téméraire, après sa victoire de Brusthem, supprime la presque totalité des institutions liégeoises.

Par contre, il est une conséquence souvent citée que, selon Christophe Masson, ce conflit n’a pas engendrée : « Il n’est pas exact de dire que la guerre des Awans et des Waroux a été synonyme d’épuisement de la noblesse liégeoise. Cette ‘légende’ apparaît dès la fin du XIVe siècle chez le chroniqueur Jacques de Hemricourt mais celui-ci est un nostalgique de la grandeur soi-disant passée de la chevalerie. On retrouve aussi cette idée chez Jean d’Outremeuse qui, lui, se veut beaucoup plus précis ; il donne des chiffres qui vont se diffuser. Il dit par exemple que la guerre a fait 3.000 morts… or c’est à peu près ce que la Principauté peut aligner en hommes d’armes sur un champ de bataille.  Avec le temps, cela augmente. J’ai trouvé dans un ouvrage datant de 1977 le chiffre de 30.000 décès ! Certes, il y a eu des morts lors des combats, mais les sources ne parlent que de moins de 500 morts, et pas tous des aristocrates. En fait, il n’y a eu que deux lignages qui ont disparu à cause de la guerre… sur les 163 lignages de la Principauté. Et à cette époque, quand une famille noble disparaît, elle est presque automatiquement remplacée. Il n’y a donc pas eu de saignées définitives dans la noblesse principautaire. Mais il y a une perte de son pouvoir politique. C’est cela la grande conséquence du conflit. »

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