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Faut-il avoir peur de l'immersion bilingue précoce ?
13/12/2013

La donne changea en 1962, année où les chercheurs canadiens Elisabeth Peal et Wallace Lambert renversèrent complètement la vapeur en soulignant les erreurs méthodologiques des études antérieures et en apportant des données convaincantes selon lesquelles les bilingues n'étaient pas inférieurs aux monolingues dans un certain nombre de domaines relevant de la sphère cognitive. Dans la foulée, la communauté des psychologues s'intéressa davantage au bilinguisme et à la manière de bien évaluer les bilingues, en particulier dans leur première langue. Eu égard aux résultats des études entreprises, la tendance fut alors de considérer qu'il n'y avait pas de désavantage à maîtriser deux langues.

À partir des années 1980-90, une autre chercheuse canadienne, Ellen Bialystok, de York University à Toronto, commença à montrer, à travers de nombreux travaux(1&2) relatifs à différents aspects du développement cognitif, que les enfants bilingues bénéficiaient, en moyenne, de meilleures capacités que les autres, essentiellement dans le domaine des fonctions attentionnelles et exécutives, celles qui nous permettent d'inhiber des informations non pertinentes, de planifier nos actions, d'élaborer des stratégies, etc. « Par la suite, de nouvelles études d'Ellen Bialystok ont fait apparaître que cet avantage s'étendait aux adultes, y compris aux personnes âgées, précise Martine Poncelet. Mieux encore : le bilinguisme retarderait l'entrée dans la maladie d'Alzheimer. Pourquoi ? Parce que, parlant deux langues, les personnes concernées auraient entraîné davantage leurs fonctions exécutives et attentionnelles tout au long de leur vie, se constituant ainsi ce qu'il est convenu d'appeler une "réserve cognitive". »

Toutefois, on ne comprend pas encore très bien les mécanismes intimes qui conféreraient un avantage cognitif aux bilingues. Selon la chercheuse de l'ULg, on suppose que le fait de parler deux langues oblige à inhiber sans cesse l'autre langue et, par ailleurs, que « switcher » d'une langue à l'autre nécessite une importante flexibilité mentale. Les capacités d'inhibition et la flexibilité mentale, deux domaines où les bilingues s'avèrent vraiment supérieurs aux monolingues d'après les travaux d'Ellen Bialystok, s'en trouveraient renforcées.

L'immersion fait florès

Dans les années 1960, les Canadiens anglophones perçurent la nécessité, pour leurs enfants, d'être parfaits bilingues. Wallace Lambert initia alors la première expérience d'immersion bilingue scolaire précoce. La formule est simple : l'enseignement se donne pour partie dans la langue maternelle (à l'heure actuelle, 25 ou 50% du temps selon les établissements) et pour partie dans la langue seconde (75 ou 50% du temps). Dans cette approche, la langue n'est plus enseignée en tant que telle, mais sert de support à l'apprentissage d'autres matières.

Plusieurs critères doivent être respectés. Et d'abord, la précocité : au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles, où le lycée Léonie de Waha, à Liège, accueillit en 1989 la première classe bilingue, l'immersion débute en 3ème maternelle. Ensuite, l'enseignant est censé être un locuteur natif. Cette exigence n'est pas toujours respectée par manque de candidats - appel est parfois fait à des régents ou des licenciés en philologie germanique. En Belgique francophone, on observe surtout une pénurie d'instituteurs d'origine anglo-saxonne, ce qui explique que, parmi les classes en immersion linguistique, 20% seulement le soient en anglais pour 80% en néerlandais, alors qu'un important pourcentage des parents souhaiteraient voir leurs enfants apprendre l'anglais.

Actuellement, au moins 160 écoles fondamentales et 100 écoles secondaires pratiquent l'immersion bilingue au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles. « L'objectif de base est que, en sortant de 6èmeprimaire, les élèves concernés aient atteint le même niveau de compétence dans toutes les matières que leurs camarades monolingues, tout en ayant acquis une connaissance approfondie du néerlandais ou de l'anglais », dit Martine Poncelet.

(1)  Claudia Dreifus, The bilingual advantage - A conversation with Ellen Bialystok, in The New York Times, 30/05/2011 Lire l'article
(2) Elen Bialystok, L'acquisition d'une deuxième langue, le bilinguisme pendant la petite enfance et leur impacrt sur le développement cognitif précoce, York University, 15 mars 2006. Lire l'article

 

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