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Faut-il avoir peur de l'immersion bilingue précoce ?
13/12/2013

Il apparut que le meilleur prédicteur du niveau d'acquisition du vocabulaire n'était pas le QI, mais deux autres types d'aspects du fonctionnement cognitif. D'une part, la capacité de répéter des mots qui n'existent pas dans la langue (des pseudo-mots) et la capacité de discrimination auditive. D'autre part, les capacités d'attention sélective et de flexibilité mentale. « Si ces éléments sont réunis, l'enfant a toutes les chances de bien acquérir la seconde langue, commente Martine Poncelet. Ce qui ne veut pas dire qu'il va nécessairement réussir ses études. Il s'agit de deux choses différentes. Un élève qui est bon dans l'apprentissage scolaire en immersion le sera normalement aussi en apprentissage non immersif, mais un enfant dont les capacités au niveau de l'apprentissage scolaire sont faibles ne sera fatalement pas plus performant en immersion. »

Les travaux d'Anne-Catherine Nicolay portaient sur le bilinguisme français-anglais chez des enfants francophones. À présent, les psychologues de l'ULg vont essayer de déterminer si les mêmes prédicteurs sont valables pour l'apprentissage d'autres langues - le néerlandais, par exemple -, sachant que l'anglais est une langue très particulière au niveau de la prosodie.

Une question brûle les lèvres : ne peut-on redouter que l'immersion accroisse les difficultés des enfants dont les capacités d'apprentissage sont limitées ? C'est ce que craignent généralement les parents, considérant que l'immersion doit être réservée aux bons élèves. Au départ, les enseignants partageaient souvent cette vision élitiste. Mais, selon Martine Poncelet, elle est erronée. Pour la psychologue, l'expérience d'un lycée comme le lycée Léonie de Waha, qui brasse tous les milieux socioculturels, montre que l'immersion ne pénalise pas l'enfant en difficulté dans le domaine de l'apprentissage scolaire, qu'elle ne le rend pas plus faible encore.

« Par ailleurs, poursuit-elle, des auteurs canadiens, dont Johanne Paradis de l'Université de l'Alberta, ont mis en évidence chez des enfants dysphasiques, c'est-à-dire présentant un trouble spécifique d'acquisition du langage oral, que le bilinguisme ne les pénalisait ni dans l'apprentissage de leur langue maternelle ni dans celui d'une seconde langue : leur dysphasie se manifeste de façon similaire dans les deux langues et de la même manière qu'elle se serait manifestée lors d'un apprentissage monolingue. Un constat analogue s'applique à la dyslexie, en ce sens que le fait, pour un enfant dyslexique, d'apprendre précocement une seconde langue n'aura pas pour effet d'accentuer sa dyslexie. ». » 

Un avantage momentané ? 

Le dernier versant des travaux de l'équipe de Martine Poncelet a trait à l'avantage cognitif éventuel auquel donnerait lieu le bilinguisme. La question que se posaient les psychologues de l'ULg était la suivante : l'avantage cognitif mis en lumière par Ellen Bialystok en termes de capacités attentionnelles et exécutives chez les bilingues, quel que soit leur âge, apparaissait-il au cours de l'apprentissage d'une seconde langue en contexte d'immersion scolaire précoce ? Aussi Anne-Catherine Nicolay et Martine Poncelet(5)  sont-elles intéressées à des enfants ayant bénéficié de 3 ans d'immersion précoce en anglais. Ceux-ci ne maîtrisaient pas encore vraiment la langue, mais la comprenaient. En clair, leur niveau de vocabulaire, à 9 ans, correspondait à celui d'un jeune anglophone de 5 ans.

Ces enfants se virent proposer des tâches d'attention sélective auditive, d'attention divisée et de flexibilité mentale. Dans la tâche d'attention sélective, l'enfant entendait un son imitant le cri d'une chouette. Ce son était diffusé en alternance dans une tonalité grave ou aiguë. Si une irrégularité survenait dans la séquence, l'enfant devait appuyer le plus rapidement possible sur un bouton. Dans la tâche d'attention divisée, deux situations étaient croisées. Comme dans l'exercice précédent, l'enfant devait réagir le plus vite possible à une perturbation de la séquence sonore, mais aussi quand un hibou, qui figurait sur un écran, fermait les yeux.

(5) Nicolay, A.-C., & Poncelet, M. (2013). Cognitive advantage in children enrolled in a second-language immersion elementary school program for 3 years. Bilingualism: Language and Cognition, 16(3), 597-607. http://orbi.ulg.ac.be/handle/2268/153895

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