Le site de vulgarisation scientifique de l’Université de Liège. ULg, Université de Liège

Du bruit et de la gêne
02/08/2012

bruit oreille"Un élément commun de la nuisance est son caractère répétitif, même si certaines personnes sont sensibles au bruit d’un tracteur qui passe, d’une tondeuse ou d’une tronçonneuse. «Les personnes ont appris à identifier dans les sons des propriétés particulières qui alimentent leur gêne, au moyen de rapprochements entre différents types de sons et différentes occurrences, explique Paul-Louis Colon. C’est précisément l’étalement des phénomènes dans le temps, leur répétition, qui permet la mise en exergue de la différence. Mais les propriétés perceptives du son ne le définissent pas complètement, le contexte de perception importe également, à plusieurs niveaux. Les individus sont plus sensibles au bruit la nuit, par exemple. Il y a également le contexte plus large dans lequel le bruit se situe, dont l’ampleur peut varier du niveau interpersonnel aux enjeux sociétaux. Par exemple, plusieurs personnes rencontrées au cours de l’enquête associent étroitement le son des avions et les tensions entre Communautés en Belgique (dans le cas de Bruxelles-National)».

Un bruit persistant et douloureux

En identifiant ce bruit et en ressentant une nuisance, la personne vit dès lors une réelle souffrance. Comme le souligne une dame interrogée par l’auteur : «C’est une douleur, mais ce n’est pas une douleur vive, c’est une douleur sourde et continue. C’est même pas une douleur, c’est une espèce de gêne, quelque chose qui vous agace, avec lequel vous devez vivre, comme une espèce d’arthrose, un rhumatisme ou un truc comme ça, dont on n’arrive pas à se débarrasser». D’autant que, comme le pointe Paul-Louis Colon, «dans la rencontre avec le bruit, les personnes se mettent d’elles-mêmes, par leur souci de comprendre ce qui se passe, en position d’être toujours plus affectées, sans pouvoir agir sur le bruit». Confrontées à une nuisance sonore, certaines personnes utilisent des techniques de défense comme l’écoute de la musique, généralement plus forte que le bruit, celle-ci créant alors un «effet de masque» qui atténue la source de la nuisance, ou des stratégies d’évitement consistant à organiser leurs activités et leur occupation des espaces domestiques en fonction des modes d’apparition du bruit. Outre les conséquences négatives que ces nuisances provoquent sur l’état émotionnel et la santé des personnes qui les subissent, on remarque aussi qu’elles pâtissent de ce que l’auteur appelle «la difficulté de se faire entendre». D’abord, parce qu’elles éprouvent souvent des difficultés à mettre des mots sur la gêne qu’elles ressentent ; ensuite, parce qu’elles constatent que l’on traite souvent leur problème seulement sous l’angle des niveaux acoustiques. Pour peu que l’on mesure des niveaux qui répondent aux normes en vigueur, le problème est minimisé, voire nié. Alors que «ces niveaux ne rendent pas compte de nombreuses situations de gêne». L’intérêt d’une ethnographie, à la différence d’enquêtes ponctuelles par questionnaire, par exemple, est qu’elle permet d’aller plus loin que l’identification des facteurs qui influent sur la gêne, en montrant comment ceux-ci se combinent dans la situation de nuisance, et comment cette situation peut évoluer sur un temps long. Dans cette perspective, le déterminisme des différents facteurs n’apparait plus univoque. Leurs poids respectifs peuvent varier au cours du temps et leurs significations être réinterprétées. La personne gênée n’est pas passive par rapport à sa gêne : elle essaie de la comprendre, la mettre à distance, la contourner et retrouver par là une certaine maîtrise sur son environnement.

Page : précédente 1 2 3

 


© 2007 ULi�ge