Nouvelle approche pour l’évolution microbienne de la Terre primitive?
La paléobiologie de microfossiles plus vieux que 1.7 milliard d'années est difficile à interpréter du fait de leur taille micrométrique, simple morphologie, et dégradation après la mort. Une équipe de chercheurs des universités de Lille et de Liège, dont le professeur Emmanuelle Javaux, montre dans un assemblage de microfossiles de 1,88 milliards d’années, très bien préservés dans des stromatolites silicifiés de la fameuse Formation Gunflint (Canada), qu’un certain nombre d’espèces présentent systématiquement des nano-minéralisations ferrugineuses internes. Les chercheurs interprètent ces dernières comme les dérivés de biominéraux intracellulaires, ainsi détectés pour la première fois dans des bactéries fossiles très anciennes. Ces nano-minéraux ferrugineux, couplés aux formes des cellules mises en évidence, suggèrent qu’une fraction importante des microorganismes fossilisés auraient bien été des bactéries photosynthétiques produisant de l’oxygène (des cyanobactéries) dans un environnement riche en fer. L'analyse combinée de signatures morphologiques et minéralogiques à l'échelle nano offre donc une nouvelle approche pour élucider l'évolution microbienne de la Terre primitive. Avant l’avènement des algues il y a au moins 1,2 milliards d’années, et en général, des organismes pourvus d’un noyau cellulaire (les eucaryotes) il y a au moins 1,7 milliards d’années, notre planète était dominée par des microorganismes de structure relativement simple mais de métabolismes diversifiés tels que les bactéries et les archées. Les microorganismes fossiles plus anciens que ~1,7 milliards d’années sont très difficiles à identifier biologiquement en raison de leur simple morphologie, de leur petite taille (quelques micromètres au plus), et la faible préservation de leurs « parties molles » organiques. Ce problème se pose depuis plus de 60 ans pour les microorganismes de la célèbre formation de Gunflint (Canada), âgés de 1,88 milliards d’années. Ces derniers représentent un des cas les plus anciens et mieux préservés de fossiles microbiens, et leur découverte historique en 1965 a initié la recherche des traces de vie précoce sur Terre. Ces microfossiles pourraient représenter des bactéries capables de produire de l’oxygène par photosynthèse ou encore des bactéries non photosynthétiques qui métabolisaient par exemple de la matière organique et/ou du Fer. Photographie au microscope optique de différents microfossiles dans les cherts (roches faites de quartz : SiO2) de Gunflint (Canada). Barre d’échelle = 5 micromètres.© Kevin Lepot Ces microfossiles de la formation de Gunflint ont fait l’objet d’une nouvelle étude à nano-échelle par une équipe de chercheurs de l’Université de Lille – CNRS (Laboratoire d’océanologie et de géosciences ; Unité matériaux et transformations ; Institut d'électronique, de microélectronique et de nanotechnologie), et de l’Université de Liège (Laboratoire de Paléogéobiologie-Paléobotanique-Paléopalynologie, Département de Géologie, UR GEOLOGY), en collaboration avec les universités de Harvard, Anvers, et du Saskatchewan, grâce à des subventions de recherche française (CNRS-INSU et Conseil Régional du Nord-Pas de Calais), belge (FNRS et BELSPO IAP PLANET TOPERS), européenne (ERC StG ELiTE, European Regional Development Fund, et FP7-ESMI), et américaine (NASA Astrobiology Institute). Les résultats, publiés dans Nature Communications(1), ont tout d’abord permis de discriminer différentes espèces (ou différents types) de fossiles en montrant la préservation de structures cellulaires que la microscopie conventionnelle ne permettait pas de distinguer clairement. Les nano-analyses chimiques et cristallographiques ont montré que des nano-cristaux ferrugineux se trouvent systématiquement à l’intérieur des cellules fossiles de certaines espèces, (et pas dans ou sur les parois cellulaires), alors que d’autres espèces en sont dépourvues. Le fer n’est pas concentré sur et dans les parois cellulaires. Image STEM (Microscope électronique en transmission avec balayage) en champ sombre d’un microfossile de type Huroniospora. La matière organique (en noir) est préservée sous la forme d’une épaisse paroi cellulaire figée dans le quartz (en gris). La cellule fossile est remplie de nano-cristaux ferrugineux (blanc). Diamètre du microorganisme fossile ~7 micromètres. Taille des cristaux ferrugineux : 50 à 500 nanomètres.© Kevin Lepot Ces nano-cristaux ferrugineux sont interprétés comme dérivés de biominéraux formés par certaines espèces de microorganismes, à l’intérieur de leur cellule et de leur vivant, il y a 1,88 milliards d’années. Les microorganismes minéralisant le fer ont largement été étudiés ces 20 dernières années en raison de leur impact environnemental ; parmi ces derniers, seules les bactéries photosynthétiques produisant de l’oxygène ont à la fois la capacité de produire des biominéraux ferrugineux intracellulaires et une morphologie compatible avec celle des microfossiles de Gunflint riches en Fer. Les nano-minéralisations de Fer observées soutiennent donc l’hypothèse que certains des microfossiles de Gunflint produisaient de l’oxygène par photosynthèse. De plus, ils auraient été tolérants aux eaux ferrugineuses de l’époque, qui sont toxiques pour de nombreuses espèces. En produisant ainsi de l’oxygène, ils auraient pu contribuer— il y a ~1,9 milliards d’années —à l’oxygénation des environnements et ainsi, à la formation de colossaux gisements de Fer exploités en plusieurs endroits du monde. (1) Kevin Lepot, Ahmed Addad,Andrew H. Knoll, Jian Wang, David Troadec, Armand Béché, Emmanuelle J. Javaux, Iron minerals within specific microfossil morphospecies of the 1.88 Ga Gunflint Formation, Nature Communications, doi:10.1038/ncomms14890, www.nature.com/articles/ncomms14890
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