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Le juge est une femme
03/02/2017

Entre conformisme et influence sur le droit

La profession de magistrat a durant des siècles été exercée uniquement par des hommes. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, l’arrivée des femmes n’engendre pas une révolution des habitudes en vigueur. En accédant à la magistrature, les femmes s’adaptent et se conforment à la culture professionnelle existante : « rythme de travail important, investissements paraprofessionnels notables, mise à distance des questions familiales dans le milieu professionnel, limitation dans le nombre d’enfants pour des raisons professionnelles… sont autant de comportements assimilés puis retransmis par les femmes, qui se font elles-mêmes les vecteurs de leur propre domination. » De nombreuses magistrates déclarent ainsi craindre une trop forte féminisation de la magistrature, qui dévaloriserait la profession.

Si la culture professionnelle ne change pas, une marque féminine s’inscrit parfois dans le droit. Les femmes apportent à la magistrature une réalité distincte de celle des hommes, réalité issue de leur socialisation différenciée. La dissymétrie sexuée dans les familles, issue des socialisations différentiées entre hommes et femmes, entraine généralement une plus grande expérience et une meilleure connaissance des femmes de la vie familiale et des enfants. Cette réalité entre dans leurs appréciations et leurs réflexions, jusqu’à impacter la jurisprudence, mais aussi la législation.

« En 1948, on peut légitimement penser qu’aucun magistrat alors en fonction n’a jamais changé les couches d’un enfant. Les premières magistrates arrivent avec cette expérience différente de la vie ménagère. Or, un magistrat ne juge pas seulement avec ses connaissances mais aussi avec ses expériences, ses connaissances de vie, ses doutes, ses frustrations…  Beaucoup de juges féminines défendent, par exemple, la garde alternée, même contre l’avis des mamans. Plus au fait de cette réalité et de ce que demande une présence à des enfants, elles savent que les mamans ont besoin d’une semaine pour elles en tant que femmes et pour reconstruire leur vie après une séparation » argumente Adeline Cornet.

Quand une femme dirige…

De tout temps, la justice a été rendue par des hommes sans que cela ne pose problème. Depuis que les femmes rendent également la justice, certains voient négativement une trop grande représentation féminine dans un tribunal. « Mettons-nous dans la position d’un Monsieur accusé de faits de mœurs. Il arrive avec son avocat homme, face à une plaignante et son avocate, se retrouve devant un juge femme, un procureur femme, une greffière et deux policières. Si on a un peu d’empathie, on imagine que cela ne sera pas simple pour lui de justifier ses actes. Mais remontons 50 ans en arrière, quand cette femme violée arrivait avec son avocate devant un auteur homme, son avocat homme, un juge homme, un procureur homme, deux policiers et un greffier. Jamais personne ne s’est offusqué des réflexions misogynes, telles que “Madame, vous devriez mettre une jupe plus longue”. C’est exactement le même problème », analyse Adeline Cornet.

Certains justiciables conçoivent difficilement que le pouvoir soit aux mains d’une femme et refusent d’être jugés par une magistrate. D’autres juges voient leur impartialité remise en question à cause du fait d’être une femme. Si ce genre de recours échoue toujours, il démontre une remise en cause de l’autorité du juge quand celle-ci est exercée par une femme. D’autant que les réactions misogynes ou sexistes ne sont pas seulement le fait des justiciables mais émanent parfois de collègues magistrats ou avocats. En dépit d’une égalité apparente, ces exemples témoignent donc de la difficulté pour une femme de se faire respecter dans une position de pouvoir, historiquement associée aux hommes. 

Pour une justice plus féminine ?

Bien qu’elle s’offusque des grandes disparités qui existent dans la magistrature, Adeline Cornet ne défend pas pour autant une représentation égalitaire à tout prix dans la justice : «Je suis pour que les personnes compétentes soient aux bonnes places et pour que la société soit jugée par des personnes qui la reflètent. Dans les rangs de la magistrature, je reste choquée de l’absence de personnes issues de l’immigration ou de culture autre que judéo-chrétienne. À ce même titre, je serais choquée qu’il y ait trop de femmes ou même que la magistrature soit entièrement féminine. Femme magistrateLa pluralité apporte toutes les sommes de réalités différentes qui permettent à une justice d’être proche de ceux pour qui elle travaille. La magistrature ne doit cependant pas refléter totalement la société, sous peine de recourir à des quotas. L’important, c’est que les juges puissent juger en toute impartialité et en toute indépendance, avec des compétences acquises et avec leur identité. Dans ce cadre, plus les personnalités sont différentes, plus la justice sera riche. Ouvrons la porte à des personnes compétentes mais différentes ! »

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