Le juge est une femme
Dans la magistrature, fonction de pouvoir historiquement réservée aux hommes, il faut attendre les années 1950 pour que les premières femmes accèdent aux fonctions de juge. Aujourd’hui, une femme dispose des mêmes droits qu’un homme pour devenir magistrate. Derrière cette égalité de façade, plusieurs disparités persistent cependant. Les femmes restent ainsi les grandes absentes de la hiérarchie et des postes de pouvoir. Chercheuse en criminologie à l’Université de Liège, Adeline Cornet a passé au crible les rapports sociaux de sexe à l’œuvre dans la magistrature belge. Au cours de l’histoire, les femmes ont toujours travaillé et occupé des positions de pouvoir. Mais ce travail n’a pas toujours été reconnu, et les positions de pouvoir étaient obtenues, rarement par mérite, mais plus généralement par le sang. A la naissance de l’époque contemporaine, la Révolution française entérine juridiquement ces inégalités entre hommes et femmes : le Code Napoléon interdit aux femmes de travailler et les relègue au statut de mineurs. Femme ou enfant, le statut est alors le même. Une femme ne peut ni travailler, ni toucher un salaire, pas plus qu’ouvrir un compte en banque sans l’accord de son mari. Face à cette aliénation, les premières victoires des femmes sont marquées par l’ouverture des écoles pour filles, puis par l’accession à l’université, étapes indispensables en vue de leur émancipation. À la fin du XIXe siècle, leur diplôme en poche, ces universitaires se mobilisent pour pouvoir exercer le métier pour lequel elles ont été formées. Le combat vers la magistratureDocteur en droit, Marie Popelin est l’une des pionnières belges de ce combat. A l’issue de ses études, en 1889, elle se présente tout naturellement à la Cour d’appel de Bruxelles pour prêter le serment d’avocat, comme n’importe quel avocat pouvait le faire. L’accès à la profession lui est alors refusé, non pas parce qu’une loi l’interdit mais parce qu’« Il n’est nul besoin d’énoncer dans la loi une interdiction qui est naturelle aux yeux de tous »(1). A cette époque encore, on attend en effet d’une femme qu’elle se consacre au ménage et à la maternité. Selon les pratiques en vigueur à l’époque, tout ce qui n’est pas explicitement interdit par la loi est permis. Marie Popelin organise sa défense sur cette base, en vain. Et il faudra plusieurs décénnies pour que les femmes puissent accéder au barreau. Quand cette victoire fut acquise en 1922, il est alors trop tard pour la pionnière, décédée en 1913. Malgré l’avancée que représente l’accession des femmes au barreau, l’égalité homme-femme est loin d’être totale. Ainsi, une exception notoire est à souligner : les femmes ont l’interdiction de suppléer les juges, c’est-à-dire de siéger en lieu et place d’un magistrat empêché. Dans sa thèse de doctorat, Adeline Cornet, chercheuse en criminologie à l’Université de Liège, s’est intéressée aux rapports sociaux de sexe dans le domaine de la magistrature(2). Pour elle, « la grande peur des hommes n’est pas que les femmes accèdent au barreau mais bien qu’elles siègent dans la magistrature. Cette profession de prestige est une fonction de pouvoir, l’un des trois pouvoirs étatiques. C’est à ce niveau que se trouve le refus le plus féroce ». Après avoir obtenu le droit de plaider, les femmes mènent un autre grand combat : celui pour l’accession au droit de vote. « L’un des principaux obstacles pour accéder à la magistrature est l’incapacité politique, civile et civique des femmes. Pourquoi seraient-elles magistrates ? Elles ne sont même pas des citoyennes à part entière, ne peuvent pas être élues, ni électrices ». Ce long combat, aux débats empreints de misogynie, aboutit en 1948. Dans la foulée, les femmes accèdent à la magistrature. Il faut pourtant attendre les années 1980 pour constater une réelle présence des magistrates dans la profession. Les magistrates, quels profils ?Pour réaliser ses recherches, Adeline Cornet réalise des entretiens auprès de 49 magistrates francophones belges. Estimant que les sciences sociales ont tendance à tomber dans un courant quantitatif peu évocateur, la criminologue adopte une méthode qualitative et s’intéresse, non pas aux chiffres, mais à l’histoire et au vécu. Comme point de départ de sa recherche, elle ne formule aucune question. Tout au plus demande-t-elle aux magistrates rencontrées de raconter leur parcours, leur vie. L’important ? Les laisser parler, raconter qui elles sont. En croisant les différentes réalités sociales vécues par les magistrates, elle veut identifier des processus généraux. L’analyse du profil des 49 magistrates permet de dégager certaines similitudes. La plupart de ces femmes comptent au moins un parent universitaire et appartiennent majoritairement à un milieu social élevé. L’homogamie sociale est également au rendez-vous : seules deux femmes sur les 49 sont en couple avec un non-universitaire. Très généralement, les maris des magistrates sont des ingénieurs, des médecins ou des juristes. Plus surprenant : bien que la magistrature représente l’un des postes les plus importants en Belgique, ces femmes n’occupent souvent pas l’emploi considéré comme « le plus important » de leur couple. La carrière des femmes tend donc à être sacrifiée au profit de celle du conjoint. (1) Magali Raes, "Les femmes dans la magistrature belge : la loi et les faits," in Les femmes et le droit. Constructions idéologiques et pratiques sociales, ed. Anne Devillé and Olivier Paye (Bruxelles: Presses des Facultés Universitaires Saint-Louis, 1999), 187. (2) Adeline Cornet, 2016, « Le vécu des femmes magistrates en Belgique francophones. Analyse d’une profession sous l’angle des rapports sociaux de sexe », Anthemis, Limal |
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