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L’Unité Astronomique ou la distance Terre-Soleil

La distance entre la Terre et le Soleil est une quantité fondamentale, tellement importante qu’on lui a donné le nom d’« Unité Astronomique » (UA). Elle nous donne en effet accès à une mine de renseignements. Premièrement, depuis les travaux de Kepler, toutes les distances dans le Système solaire sont connues à une échelle près, l’UA. Sa détermination nous permet donc de connaître la taille et la distance des planètes, comètes et autres astéroïdes qui peuplent le Système solaire. Sa mesure nous permet aussi d’évaluer la luminosité réelle du Soleil, ce qui ouvre la voie à une foule d’éléments physiques – et pose la question de l’origine de la quantité prodigieuse d’énergie délivrée par notre étoile. Enfin, il ne faut pas oublier que l’UA nous sert d’unité de base dans l’évaluation de la distance des étoiles (1) !


Cependant, comment évaluer cette distance, ô combien précieuse ? Cette question tarabuste les hommes depuis l’Antiquité, et la réponse n’est certes pas facile à trouver. Passons rapidement sur les évaluations plus ou moins ésotériques. Anaximandre proposa que le Soleil était un trou dans un anneau de feu, et que ce trou était de la même taille que la Terre. Dans le même ordre d’idée, Huygens supposa que les tailles de Vénus et de la Terre étaient voisines, un fait qui s’avéra par la suite exact, mais qui ne reposait à l’époque sur aucune base scientifique. Horrocks, enfin, pensait que la taille de l’orbite des astres autour du Soleil était proportionnelle à la taille physique de ces mêmes astres. Ayant déterminé le diamètre angulaire de Vénus et connaissant le rapport entre la distance Terre-Soleil et la distance Vénus-Soleil (cf. plus loin), il déduisit que le Soleil se trouvait à 15 000 rayons terrestres : c’est bien plus qu’on ne croyait à l’époque, mais seulement 60% de la valeur réelle !

Methode-AristarqueLa première estimation réellement scientifique de l’UA fut réalisée par Aristarque de Samos en 250 av. J.C (2). En supposant que le Soleil est situé à une distance finie de la Terre, Aristarque conclut que la Lune aux premier et dernier quartiers ne se trouve pas exactement dans une direction perpendiculaire à l’axe Terre-Soleil. Le savant grec savait que la durée qui sépare la nouvelle Lune du premier quartier était plus courte de douze heures que celle qui sépare le premier quartier de la pleine Lune. Il en déduisit qu’au premier quartier, l’angle Terre-Lune-Soleil valait 87° (l’angle α de la figure ci-dessus), ce qui relègue le Soleil à une distance 19 fois supérieure à celle de la Lune. Mais l’orbite de la Lune n’est pas circulaire et la vitesse de Séléné sur son orbite n’est donc pas constante : en réalité, l’angle α vaut 89,85° et le Soleil est 390 fois plus éloigné que la Lune. Notons que cette méthode fut utilisée en 1630 avec plus de précautions par Vendélius, qui obtint un angle de 89,75°, ce qui correspond à un Soleil 230 fois plus éloigné que la Lune.



Methode-PtoléméePtolémée avait, lui, plutôt songé à utiliser les éclipses. Lors d’une éclipse de Soleil, la Lune recouvre entièrement ce dernier : leurs tailles angulaires sont donc égales, et on en déduit que le rapport des rayons de la Lune (connu) et du Soleil égale le rapport de la distance Terre-Lune (connue) sur la distance Terre-Soleil. D’autre part, lors d’une éclipse de Lune, cet astre se trouve dans le cône d’ombre de la Terre, et Ptolémée évaluait la largeur de ce cône, à la distance de la Lune, à 2,6 diamètres lunaires. Cette configuration permet alors de déterminer une relation entre le rayon terrestre (connu), le rayon du Soleil et la distance Terre-Soleil. En combinant les deux relations et en utilisant les estimations de l’époque, Ptolémée trouva que le Soleil était distant d’environ 1 200 rayons terrestres.

Peu de progrès sur cette question furent accomplis pendant le Moyen-Âge, et même après. Les astronomes, y compris Copernic et Kepler, reprennent généralement les valeurs antiques. Kepler se rend néanmoins compte que sa théorie ne s’accorderait pas avec les observations si la parallaxe de Mars dépassait quelques minutes d’arc. Il en déduit que le Soleil est très éloigné et que sa parallaxe – l’angle sous lequel un rayon terrestre est vu depuis le Soleil – vaut bien moins d’une minute d’arc, ce qui place le Soleil à une distance supérieure à 3 500 rayons terrestres (qu’il faut comparer à la valeur réelle, qui est de 23 500 rayons terrestres). 


Parallaxe-de-MArs
En 1672 se produisit une opposition de Mars : Mars, la Terre et le Soleil étaient alignés dans cet ordre. On pensa utiliser cette configuration particulière pour évaluer la distance Terre-Soleil. En effet, si l’on observe Mars simultanément depuis deux endroits distincts de la Terre, on ne verra pas la planète exactement au même endroit par rapport au fond des étoiles. Le même phénomène se produit si l’on observe la Planète rouge depuis le même endroit, mais à deux moments différents : c’est alors la rotation de la Terre qui entraîne l’observateur en deux points distincts de l’espace (voir dessin). En mesurant l’angle dont s’est déplacé Mars, on peut évaluer sa distance et partant, toutes les tailles dans le Système Solaire grâce à la troisième loi de Kepler.

En 1672, l’Anglais John Flamsteed observa donc Mars à divers moments de la nuit, tandis que Jean Dominique Cassini et Jean Richer faisaient la même chose au même moment, l’un à Paris, l’autre à Cayenne, en Guyane. Flamsteed calcula pour l’UA une valeur de 131 millions de kilomètres, tandis que Cassini obtenait 140 millions de kilomètres. L’accord entre ces deux valeurs pourrait sembler satisfaisant, s’il n’était gâché par l’évaluation de l’abbé Jean Picard, faite à partir des mêmes données que Cassini, selon laquelle la Terre était éloignée de 65 millions de kilomètres du Soleil ! Aujourd’hui, les experts s’accordent à penser que la précision limitée des instruments de l’époque n’était pas suffisante pour mesurer la véritable parallaxe de Mars, et que les valeurs obtenues ne sont en réalité que des bornes inférieures, et non une valeur absolue de l’UA. Au milieu du XVIIIe siècle, l’abbé Nicolas-Louis de La Caille renouvela ce type de mesure pour Mars et Vénus, et il réussit à obtenir une valeur de 10 +/-1 secondes d’arc pour la parallaxe solaire (soit une distance de 133 +/- 13 millions de kilomètres) : la précision n’est toujours pas au rendez-vous. C’est pourquoi la méthode de Halley, qui repose sur l’observation des transits, sembla à beaucoup constituer LA solution de ce problème. Benjamin Martin, un vulgarisateur de l’époque, accessoirement fabricant d’instruments astronomiques, conclut même que « si nous faisons le meilleur usage [des transits de 1761 et 1769], nul doute que l’astronomie atteindra, en dix ans, la perfection ultime. »


parallaxes-observations

Depuis deux endroits différents A et B sur Terre, on ne verra pas Vénus transiter au même endroit sur le disque solaire (cf. schéma ci-contre) : c’est l’effet de parallaxe déjà évoqué. Bien sûr, le Soleil n’est pas non plus infiniment éloigné, et si l’on pouvait observer les étoiles en plein jour, on verrait que si la position de Vénus semble différer d’un angle βV, celle du Soleil devrait différer d’un angle βS – plus petit que βV car le Soleil est plus éloigné de la Terre que Vénus lors d’un transit. Depuis la Terre, on observera la combinaison des deux parallaxes et on verra Vénus se déplacer d’un angle β = βV - βS sur le disque solaire.

Or, tous ces angles sont petits, et si on les exprime en radians, on peut écrire : βV = CD / DVT et βS = CD / DST – et donc βV / βS = DST / DVT – où DSV, DVT et DST désignent respectivement les distances entre le Soleil et Vénus, Vénus et la Terre et entre le Soleil et la Terre, et où CD est la projection de AB sur le plan perpendiculaire à l’axe Terre-Vénus Soleil.


Cela permet d’écrire que βS = β (DST / DSV - 1), puisque lors du transit DST = DSV + DVT.

L’angle β est mesuré lors du transit, et le rapport DST / DSV est connu : ce rapport peut être calculé en observant Vénus à sa plus grande élongation (cf. schéma ci-dessous), ou encore en appliquant la troisième loi de Kepler : βS est donc déterminé. Notons que βS ne coïncide pas avec la parallaxe solaire πS, car cette dernière a pour base, non la distance CD, mais le rayon terrestre RT : on a πS = RT / DST et βS = CD / DST, et donc πS = RT βS / CD =RT β (DST / DSV - 1) / CD ; CD peut facilement être calculé à partir des coordonnées géographiques des observateurs.

Mesure-angle-VenusCe type de mesure peut être effectué sur base de photographies, mais la méthode fut rarement mise en pratique de cette façon-là : comment coordonner des observateurs séparés de milliers de kilomètres pour qu’ils observent rigoureusement au même instant ? C’est pour cela qu’Halley basa sa méthode sur un constat différent : puisque deux observateurs séparés voient Vénus à des endroits différents, les longueurs des trajets totaux de la planète mesurés depuis ces deux stations terrestres ne seront pas égaux. Et comme mesurer la corde du trajet n’est pas simple (sauf, une fois encore, si l’on dispose de photographies), Halley proposa de mesurer plutôt la durée totale du transit : en effet, plus cette corde est longue et plus la durée du transit sera importante. Delisle généralise ce raisonnement : si le trajet est plus long, c’est qu’il commence plus tôt et se termine plus tard. Un endroit où seul le début ou la fin du phénomène est visible est donc également utilisable.

Évidemment, tout n’est pas aussi simple : les orbites des deux planètes sont elliptiques
et non circulaires, il faut connaître avec une bonne précision les coordonnées géographiques des lieux où sont effectuées les observations, et la rotation de la Terre vient modifier les instants de contact et la vitesse apparente de Vénus. 

Mais la mauvaise connaissance des longitudes, conjuguée à l’effet de goutte noire, contrecarrèrent les projets des astronomes. On utilisa donc à la fois les observations de Mars (à l’opposition) et de Vénus (hors transit) pour déterminer l’UA de la manière évoquée plus haut. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les résultats furent plutôt mitigés, mais la détermination de l’UA par cette méthode s’affina sensiblement avec l’amélioration de la qualité des instruments astronomiques. On réfléchit en outre à de meilleures cibles : certains astéroïdes frôlent la Terre, et peuvent s’approcher bien plus près de nous que Vénus ou Mars : leur parallaxe, plus grande, est donc plus facilement mesurable. C’est ainsi que divers astéroïdes furent utilisés – notamment Éros en 1930 et 1931. Les résultats furent bien meilleurs que ceux obtenus au départ des transits de Vénus… Vénus battu par Éros, quelle ironie !

Plus récemment, on a fait appel à une nouvelle technique, qui utilise le radar : des ondes radio envoyées vers Mars ou Vénus (encore…) se réfléchissent sur la surface de ces planètes et reviennent vers la Terre : la mesure du temps d’aller retour, conjuguée à la connaissance de la vitesse de ces ondes (300 000 km/s), permet de déduire immédiatement la distance à l’objet considéré.

Aujourd’hui, on ne mesure plus l’UA, on la définit. En effet, l’orbite de la Terre varie constamment sous l’action perturbatrice des autres planètes. On a donc décidé en 1976 de définir l’UA comme la distance moyenne entre la Terre et le Soleil en l’absence des autres planètes. Elle vaut 149 597 870 kilomètres, ce qui correspond à une parallaxe π S de 8,79415 secondes d’arc.

 


(1) En observant une étoile proche de deux points opposés de l’orbite terrestre (en juin et en décembre, par exemple), on la voit se déplacer par rapport au fond des étoiles lointaines : c’est l’effet de parallaxe annuelle. En mesurant cet angle, et connaissant l’UA, on peut calculer la distance de cette étoile. Pour mieux comprendre le lien entre angle et distance, faites l’expérience suivante : tenez votre pouce à bout de bras et regardez la façon dont il se déplace par rapport à un mur éloigné lorsque vous cachez un oeil puis l’autre. Recommencez ensuite l’expérience en pliant le bras : le pouce semble se déplacer davantage. La parallaxe est inversement proportionnelle à la distance de l’objet étudié et proportionnelle à la longueur de la « base » (la distance entre vos deux yeux pour l’expérience ci-dessus, deux fois l’UA pour le cas stellaire).
(2)  Il se peut qu’Aristarque se soit inspiré d’une méthode plus ancienne.

 


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