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Performances cognitives sous privation de sommeil
11/01/2017

Plusieurs « fuseaux horaires » cérébraux

L’analyse des IRMf devait affiner la quantification de ces observations, en isolant les réactions de chacune des régions du cerveau. Elle a notamment permis d’observer et de comparer la diminution de réactivité de certaines régions du cerveau durant la phase d’éveil (en bleu dans l’illustration ci-dessous). « Nous avons observé un fait que nous ignorions jusqu’alors, se réjouit Pierre Maquet. Seules les régions du cortex réagissent à l’augmentation de la pression de sommeil. » L’observation des IRMf a également permis d’indiquer la diminution d’activité cérébrale au moment où la mélatonine était sécrétée. « Et une fois de plus, les niveaux de réactivité augmentaient à nouveau sitôt que la mélatonine était inhibée, et ce, alors même que la pression de sommeil grandissait. Deux facteurs qui se contrecarraient donc, de manière à ce qu’un certain niveau de performance soit maintenu. »

« Mais la découverte la plus surprenante de cette étude, ponctue le neurologue, concerne l’observation d’une différence de phase circadienne entre les six lobes qui constituent le cortex. » Au cours de l’expérience, les performances cérébrales des sujets étaient enregistrées par IRMf à 13 reprises. 13 points répartis sur 42 heures et qui, disposés sur un graphique dessinent une sinusoïde dépendante du rythme circadien. Comme les réactions des différentes régions du cerveau pouvaient être isolées, il était possible de tracer une sinusoïde pour chacune d’entre elles. « Je m’attendais à toutes les retrouver sur un même plan. Or, toutes évoluent bien sur un cycle de 24 heures, mais elles sont déphasées entre elles. Certaines sont en avance par rapport au pic de mélatonine, d’autres sont en retard. Entre les réponses des régions les plus précoces et celles des régions les plus tardives, nous avons enregistré un décalage de deux heures. Ce qui signifie que nous n’avons pas une seule horloge dans le cerveau, mais que chaque région a son heure à elle. C’est une découverte importante. Les « gènes d’horloge », qui régulent l’activité biologique sur 24 heures, sont très sensibles à l’état métabolique des neurones. Ces sinusoïdes déphasées pourraient signifier que ces gènes adaptent la phase d’activité d’une région du cerveau selon des besoins locaux en énergie, et donc en fonction du travail neuronal. » 

Nous n’aurions donc pas une, mais bien plusieurs horloges circadiennes, qui tournent toutes en 24 heures, mais qui en plus de s’aligner sur le cycle du soleil, se règlent sur des besoins neuronaux. Un approfondissement de cette étude sur la transcription génique chez le rat ou la souris devrait permettre de mieux comprendre ce qui pousse certaines phases à être en avance sur d’autres. Des recherches qui devraient mener à mieux comprendre pourquoi certains sujets sont plutôt du matin, ou du soir, ou plus sensibles au décalage horaire ou au travail nocturne, par exemple. « Ça change toute la manière dont on pense les horloges circadiennes, s’enthousiasme le neurologue. Elles se révèlent plus flexibles, plus adaptables que ce que nous pensions. »

Domestiquer la lumière

S’il semblerait donc que plusieurs « fuseaux horaires » traversent les différentes régions du cerveau, il n’en demeure pas moins qu’une horloge principale, pour rappel, située dans le noyau suprachiasmatique, régule l’activité neuronale autour de 24 heures. C’est sur celle-ci que s’accordent toutes les horloges du corps, et elle est elle-même influencée par la lumière du soleil. Par exemple, elle ne correspond pas tout à fait à un jour terrestre, mais s’aligne naturellement au lever du soleil chaque matin. Autre exemple, si nous quittons l’Europe pour San Francisco, au terme de quelques jours d’acclimatation, le cycle de sécrétion de la mélatonine se sera adapté au changement horaire. Reconnaître l’importance de l’influence du rythme circadien sur nos performances et dresser ce rapport causal à la lumière est donc l’une des clés qu’offrent les études du sommeil sur des évolutions économiques et de santé publique significatives. « Les erreurs humaines au travail ou les accidents de la route liés à une activité nocturne et donc à des états de somnolence sont considérables. Et quoi que l’on fasse, notre horloge biologique fonctionne en continu et tourne au rythme de notre planète. Lutter contre accroît le risque d’accidents, mais aussi celui de contracter des maladies cardiovasculaires comme l’hypertension ou le diabète. Une perturbation du sommeil pourrait même augmenter le risque de certains cancers. En cela, le régime professionnel des pauses est une catastrophe. L’horloge biologique n’a jamais le temps de s’habituer à un horaire. » En effet, certains postes ou certains loisirs n’offrent pas la possibilité de dormir de 22h30 à 6h30 tous les jours. Utiliser des lumières artificielles qui diffusent les longueurs d’onde imitant l’évolution de la lumière du soleil au cours de la journée pourrait influencer la régulation de la mélatonine et donc limiter les effets de somnolence. « Derk-Jan Dijk, mon collaborateur du Surrey, a par exemple mené une expérience de ce type. Lui et son équipe ont changé les ampoules d’une entreprise sans prévenir les équipes de nuit, et ont observé un gain de vigilance et de performance au travail. » De telles initiatives peuvent également faciliter la vie de personnes atteintes de maladies neurodégénératives. Ceux qui contractent Alzheimer, par exemple, subissent une perte neuronale importante dans le noyau suprachiasmatique, ce qui perturbe la sécrétion de mélatonine. Cette dérégulation entraîne un état d’excitation psychomotrice en fin d’après-midi. « Un syndrome que l’on appelle le sundowning, et qui est l’une des raisons d’institutionnalisation du patient. En gérant ce phénomène, notamment par un jeu de lumières, on pourrait maintenir plus longtemps les patients à domicile. » Utiliser la lumière pour lutter contre les méfaits de la somnolence, l’intuition n’est pas nouvelle. Les technologies existent déjà sur le marché, mais il y a là une démarche de sensibilisation à envisager pour amorcer un changement significatif dans le milieu professionnel, une réhabilitation de la lumière comme facteur influençant notre cycle du sommeil. 

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