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Performances cognitives sous privation de sommeil
11/01/2017

Quelle est la part de la privation de sommeil et celle liée à l’horloge biologique dans l’évolution de nos performances cognitives quand nous restons éveillés ? Comprendre ces mécanismes relève d’un enjeu de santé publique majeur, puisque nos capacités sont grandement affectées par une perturbation du sommeil. De nombreux accidents du travail et de nombreuses maladies y sont liés. Difficile pourtant de quantifier l’influence que peut avoir un décalage horaire, le travail en pause et particulièrement de nuit, ou simplement des habitudes de vie ne respectant pas un cycle naturel. Une étude publiée dans Science (1) contribue à mieux comprendre les arcanes de ces mécanismes complexes et leur influence sur notre cerveau. À l’aide d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) ainsi que par l’exécution de tâches répétées pendant 42 heures d’éveil, des chercheurs ont pu observer sur 33 sujets l’évolution des performances et des réponses cérébrales à la privation de sommeil et au cycle circadien. Mieux encore, ils sont parvenus à pointer l’incidence de chacun de ces mécanismes, et à déceler non pas une seule horloge biologique, mais plusieurs, réglées à différentes heures selon les régions du cerveau. Un véritable Graal pour les études du sommeil en général. 

Tant que nous restons éveillés, nous interagissons avec notre environnement. Or, cette faculté ne se maintient pas constamment. Nos performances cognitives et nos capacités à effectuer des tâches évoluent au cours du jour et de la nuit. Des variations journalières influencées par deux facteurs déterminants : l’horloge biologique d’une part, qui suit un rythme circadien (d’une période de 24 heures et dix minutes, pour être précis), et la dette de sommeil d’autre part, qui traduit l’accumulation d’une pression de sommeil due au travail neuronal. « Cette horloge biologique est présente chez tous les êtres vivants de notre planète, explique le professeur Pierre Maquet, Professeur à l’Université de Liège, chef du Service de Neurologie du CHU et chercheur au GIGA-CRC in vivo Imaging . Elle est naturellement liée au temps de rotation de la Terre sur son axe pour que la vie puisse y être adaptée au mieux. Comment cette horloge fonctionne-t-elle ? En réalité, chacune de nos cellules en est pourvue, via un système de transcriptions géniques et de traductions de protéines, dont le cycle oscille en 24 heures. Chacune de ces horloges est synchronisée par une horloge principale logée au milieu du cerveau, dans le noyau suprachiasmatique» Un des vecteurs de cette horloge est la régulation d’une hormone, la mélatonine, sécrétée de nuit pour donner au corps un besoin de sommeil. À l’inverse, dès que le corps est soumis à une exposition lumineuse, le noyau suprachiasmatique en inhibe la sécrétion. Un mécanisme de première influence pour notre sommeil. « Les chercheurs du sommeil ont pourtant tendance à oublier ce rythme biologique très ancien. Les études de ces dernières années tendent à davantage incriminer la dette de sommeil pour expliquer toute une série de détériorations cognitives. »

Au cours d’une étude récemment publiée dans Science, une équipe de chercheurs de l’Université de Liège et du Sleep Research Center de l’Université du Surrey en Angleterre, a pu souligner l’interaction de ces deux mécanismes sur la variation des performances cognitives. 

42 heures sans dormir

Les effets du cycle circadien sont particulièrement complexes à mettre en évidence expérimentalement. Ils sont en effet masqués par d’autres facteurs comme l’activité physique, l’alimentation, l’exposition à la lumière, le profil génétique de chaque individu, etc. Chacun de ces paramètres influence notre vigilance ou la sécrétion d’hormones comme l’adrénaline. « Nous voulions étudier la variation des réponses cérébrales à des tâches simples sur une période de 42 heures sans sommeil, développe le neurologue, pour nous assurer que ces évolutions étaient liées aux cycles du sommeil. Nous devions donc créer pour les individus volontaires une routine constante. C’est-à-dire que nous devions les placer dans des conditions contrôlées de lumière, de température, de régime alimentaire, d’exercice physique… De sorte qu’il ne reste comme variable au cours de l’expérience que les effets liés à la privation de sommeil et à l’horloge circadienne. » 

Les participants étaient tous sains et jeunes. Au cours des trois semaines précédant l’expérience, Pierre Maquet et son équipe ont enregistré l’actigraphie de chacun des candidats. Cette actigraphie devait permettre de vérifier que les sujets respectaient leurs heures de sommeil. « Cette mesure nous paraît primordiale. On ne peut pas estimer l’effet d’une privation de sommeil si nous ne connaissons pas l’historique du sommeil de l’individu étudié. Connaître sa phase circadienne ou s’assurer qu’il n’a pas été sujet à des troubles de sommeil importants figurent parmi les précautions nécessaires pour ensuite récolter des données fiables. » Parmi les volontaires, 33 sujets ont finalement été sélectionnés. Après une première nuit d’adaptation sur le lieu de l’expérience et une nuit de base, les participants ont été maintenus éveillés pendant 42 heures, avant de se voir offrir une nuit de récupération de 12 heures. 

FIG 1 Maquet Science

Le sommeil des candidats est étroitement surveillé lors des trois semaines précédant l’expérience. En laboratoire, les sujets sélectionnés passent une nuit d’adaptation (A), une nuit de base (B), 42 heures d’éveil, et une nuit de récupération de 12 heures. Au cours des 42 heures d’éveil et au terme de la nuit de réparation, ils sont sollicités pour réaliser une série de tâches au cours de 13 sessions d’acquisition d’images par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) au cyclotron du CHU. 

(1) Vincenzo Muto, Mathieu Jaspar, Christelle Meyer, Caroline Kussé, Sarah L. Chellappa, Christian Degueldre, Evelyne Balteau, Anahita Shaffii-Le Bourdiec, André Luxen, Benita Middleton, Simon N. Archer, Christophe Phillips, Fabienne Collette, Gilles VandewalleDerk-Jan Dijk, Pierre Maquet,Local modulation of human brain responses by circadian rhythmicity and sleep debt, Science, Vol. 353, Issue 6300, pp. 687-690, 12 Aug 2016

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