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La litière de posidonies: un garde-manger dynamique
23/11/2016

Il en va de même, argumente le chercheur, des variations saisonnières: que la quantité de litière soit beaucoup plus abondante en automne et en hiver, c’est-à-dire au moment de la chute des feuilles de posidonie, qu’au printemps et en été, est à peine une surprise. Mais ces variations saisonnières, quoiqu’elles affectent l’abondance des invertébrés présents au sein de la litière, demeurent pour ainsi dire sans effets sur sa diversité. Mais un autre type de dynamique beaucoup plus aléatoire, intense et très limitée dans le temps est présente dans la litière de posidonies : les « pulses de ressources ». Ces pulses de ressources ont lieu lors des tempètes et coups de vent se produisant dans la baie et peuvent avoir un rôle structurant important sur les invertébrés présents. Lorsque de forts courants remuent les dépôts de litière et y provoquent un départ des feuilles mortes (pouvant affecter jusqu’à 99% de la litière), certains organismes accompagnent le déplacement de ces feuilles mortes ou bien migrent tout simplement vers différents milieux en attendant de revenir plus tard. Mais d’autres, très inféodés à la litière, choisissent de demeurer dans les quelques accumulations restantes. « Ils préfèrent, autrement dit, subsister dans un milieu encore moins favorable, lieu d’une plus grande densité d’organismes et, par conséquent, d’une plus grande compétition. Sans doute parce qu’ils ne sont pas vraiment en mesure de survivre de façon optimale ailleurs ». C’est notamment le cas de l’amphipode Gammarella fucicola: présent, comme on l’a dit, à la fois dans les couches très peu et très oxygénées de la litière, ce petit crustacé compte parmi ces résidents qui, en cas de départ important des feuilles mortes, préfèrent demeurer dans les vestiges de litière. « Plusieurs hypothèses peuvent être avancées: soit que cette espèce survivrait beaucoup moins bien ailleurs et n’aurait par exemple pas tout à fait à sa place dans l’herbier lui-même, à quelques mètres seulement des accumulations de feuilles mortes — on n’en trouve d’ailleurs pas vraiment dans l’herbier lui-même, mais uniquement dans la litière de l’herbier; soit qu’il est plus rentable pour Gammarella d’encaisser temporairement plus de compétition avec d’autres gammarellae ou d’autres amphipodes, puisque les feuilles mortes finissent toujours par revenir, que de migrer vers un autre milieu et ainsi consentir à une dépense énergétique considérable. Gammarella Fucicola apparaît, quoi qu’il en soit, comme une espèce remarquablement adaptée à l’habitat de la litière. » 

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Estomacs au microscope

La caractérisation de la communauté d’invertébrés présents dans la litière devait, pour François Remy, être immédiatement suivie d’une analyse de leur régime alimentaire. Pouvait-on, en étudiant ces différents régimes, corroborer l’hypothèse selon laquelle c’est par le biais de ces invertébrés consommateurs de litière que l’énergie fixée par la production foliaire de P. oceanica se transmet à l’ensemble des chaînes alimentaires côtières de la Méditerranée? Après tout, la litière de posidonie ne se limite pas à ses feuilles mortes: elle est également le lieu d’autres sources potentielles de nourriture, telles que des algues, mais aussi des épiphytes (bryozoaires, hydrozoaires, bactéries, champignons, micro-algues, etcqui grandissent fixés sur la surface des feuilles de posidonie. Au fil des mois, François Remy analyse ainsi le contenu stomacal de quelque 560 organismes, et, croisant les résultats obtenus avec des analyses d’isotopes stables du carbone, de l’azote et du souffre, entreprend de déterminer le régime alimentaire général de 19 espèces sur les 115 initialement identifiées. Et de constater, outre des éléments inattendus tels que des fibres textiles (lire Les micro-plastiques dans les estomacs de poissons), l’existence de plusieurs niveaux trophiques, c’est-à-dire plusieurs rangs au sein d’un même réseau trophique (un ensemble de chaînes alimentaires): celui des consommateurs primaires tels que Gammarella fucicola, des omnivores tels que Nebalia strausi, des carnivores tels que le petit crabe Liocarcinus navigator ou la crevette Palaemon xiphias, et même de possibles ‘top predators’: des prédateurs de carnivores tels que de jeunes poissons appartenant au genre Gobius. Chacun de ces niveaux trophiques apparaît cependant doté de diverses préférences en matière de régime alimentaire: certains consommateurs primaires tels que G. fucicola sont des consommateurs mixtes — ingérant un mélange d’algues, d’épiphytes et de feuilles mortes — alors que d’autres, aux tendances détritivores plus prononcées, se nourrissent essentiellement de feuilles mortes (Gammarus aequicauda jusqu’à 60% de son régime alimentaire). « Parce que les prédateurs consomment ces invertébrés, et que de plus gros ‘top prédateurs’ consomment à leur tour ces prédateurs, on comprend aisément comment la matière organique des feuilles mortes se transmet depuis la litière jusqu’aux prédateurs de second ordre par l’intermédiaire de ces ‘mangeurs de litière’. Cette dernière apparaît donc comme une source de nourriture non-négligeable pour l’ensemble des écosystèmes côtiers méditerranéens, alors même qu’il existe au sein de l’herbier de posidonies d’autres sources de nourriture plus aisément assimilables. » 

(1) Characterization, dynamics and trophic ecology of macrofauna associated to seagrass macrophytodetritus accumulations (Calvi Bay, Mediterranean Sea), Thèse de Doctorat 2016


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