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L’Anonyme de Londres : un papyrus médical grec du 1er siècle après J.-C.
27/10/2016

Docteur en Langues et Lettres de l’Université de Liège, spécialisé en papyrologie, et depuis peu attaché temporaire “enseignement et recherche” au Collège de France, Antonio Ricciardetto a fait paraître, dans la continuité de son mémoire de master soutenu en 2010 sous la direction de Marie-Hélène Marganne, une édition critique de l’Anonyme de Londres, un papyrus médical grec du 1er siècle après J. -C., accompagné de sa première traduction française. Arrivé au British Museum en 1889 dans des circonstances nébuleuses, ce texte autographe, vraisemblablement de la main d’un médecin, est aussi, avec ses 3,36 mètres, le plus long papyrus médical grec conservé. Déjà recompensé de trois prix – le Prix de la Société française d’histoire de la médecine en 2010, le Prix Marcel-Florkin en 2013 et le prix Zographos en 2016 –, ce travail d’édition et de traduction, d’abord publié aux Presses universitaires de Liège, vient d’être republié aux prestigieuses éditions parisiennes “Les Belles Lettres”.


Anonyme Londres copieAu printemps 1892, l’existence de l’Anonyme de Londres est dévoilée pour la première fois au monde savant. Ce papyrus fait partie d’un lot exceptionnel découvert en Égypte en 1888 et acquis l’année suivante par le British Museum. Les modalités de découverte et d’acquisition de ce lot sont peu claires. On pense aujourd’hui qu’il provient d’Hermopolis en Moyenne-Égypte, qu’il a été découvert par des autochtones et qu’il a ensuite été vendu par différents intermédiaires au British Museum. Le lot contenait des textes rhétoriques, philosophiques, historiques… C’était probablement une sorte de petite bibliothèque appartenant à un groupe de fonctionnaires ou de notables locaux”, explique Antonio Ricciardetto. Or ce lot contenait notamment “La Constitution d’Athènes” d’Aristote, jusqu’alors perdue, perle qui éclipsera les autres textes de cette bibliothèque surgie des sables. En une année, pas moins de six éditions du texte aristotélicien se succèdent. Dès 1893 cependant, un érudit allemand, Hermann Diels, fait paraître une première édition de l’Anonyme de Londres, suivie quelques années plus tard d’une première traduction allemande, due à un philologue, Heinrich Beckh, et à un médecin, Franz Spät. En 1947, W.H.S. Jones, spécialiste d’Hippocrate, fait à son tour paraître une traduction en anglais, fondée sur l’édition de Hermann Diels. Outre l’édition proposée par Antonio Ricciardetto en 2010, il faut encore citer celle de la chercheuse italienne Daniela Manetti, parue en 2011. “J’ai tenté dans ce travail de rester au plus proche du texte, y compris dans la mise en forme. La traduction est un exercice particulièrement délicat, d’autant que certaines parties sont manquantes ou très abîmées. Lorsqu’il était impossible de déchiffrer, j’ai tenté de décrire ce que je voyais, contrairement à la tradition philologique du 19e siècle qui avait horreur du vide et n’hésitait pas, parfois, à réécrire complètement des passages manquants”, explique le chercheur. L’Anonyme de Londres, paru aux Belles Lettres en 2016, reproduit l’édition parue en grand format (A4+) aux Presses Universitaires de Liège en 2014. Elle inclut cependant une mise à jour bibliographique (2014-2015). L’index des matières répertorie par ailleurs tous les mots grecs des textes écrits sur les deux faces du rouleau du papyrus. Combiné à des suggestions parues dans plusieurs publications postérieures à l’édition liégeoise, un nouvel examen du papyrus a permis d’améliorer le déchiffrement du texte sur certains passages. La traduction a également été retouchée en plusieurs endroits. En revanche, l’édition de 2016 ne contient, ni la Préface de Marie-Hélène Marganne expliquant la genèse de l’entreprise, ni la reproduction des onze planches du papyrus qui illustraient le volume paru auxPresses Universitaires de Liège.

Une physiologie originale

Divisé en trois parties, le papyrus propose d’abord une section sur la notion de maladie et les définitions que l’on peut en donner. L’auteur s’y range explicitement du côté des Péripatéticiens – les Anciens – par opposition aux Modernes, les Stoïciens. “Cet antagonisme entre les théories des “Anciens” et celles des “Modernes” constitue un thème récurrent dans la médecine de l’époque impériale ; il est attesté en particulier chez Galien, note Antonio Ricciardetto. Après cette mise au point sur les diverses acceptions de la “maladie”, la deuxième partie, traditionnellement dénommée “doxographie de Ménon”, est consacrée à l’étiologie des affections. L’auteur rassemble, à la manière d’un recueil d’opinions, les conceptions de vingt philosophes et écrivains médicaux datés des Ve et IVe siècles avant notre ère, les classant en deux groupes : ceux qui attribuent les causes des maladies aux résidus d’aliments et ceux qui les attribuent à une mauvaise combinaison des éléments qui constituent le corps. “Cette section a beaucoup intéressé les chercheurs durant le 20e siècle, car sur ces vingt médecins, sept n’étaient pas connus du tout. Quant à ceux qui l’étaient déjà, ce que l’Anonyme de Londres en disait ne correspondait pas toujours à ce qu’on pensait par ailleurs. C’est notamment le cas pour Hippocrate, à qui l’auteur attribue un traité qu’on jugeait à l’époque indigne de lui… L’Anonyme a ainsi représenté un ‘lieu de fouilles’ à la recherche de fragments d’auteurs, ce qui a souvent empêché de le considérer dans son unité”, explique le chercheur. Tant d’attention à cette doxographie a en particulier fait de l’ombre à la troisième et dernière section du papyrus consacré à la physiologie. “C’est une partie pourtant très intéressante où l’auteur défend la théorie selon laquelle des émanations proviennent des corps animés ou inanimés et que celles-ci doivent, pour que l’équilibre soit conservé, être compensées par des apports, sans quoi ces corps dépériraient. C’est une physiologie originale, particulièrement dans la manière dont elle est exposée”, explique Antonio Ricciardetto.Ainsi de ce passage : “Si on prenait un animal, par exemple un oiseau, ou un animal semblable, et qu’on le plaçait pour un certain temps dans une marmite, sans lui donner de nourriture, qu’ensuite on le pesait avec les excréments qu’il a manifestement évacués, on découvrira qu’il y a eu une grande perte de poids, évidemment parce qu’il y a eu une émanation importante, suivant ce qui est concevable par la raison”. “À l’époque, on ne disposait pas de microscope… L’auteur recourt donc aux seuls moyens à sa disposition : l’analogie et l’observation du monde extérieur. Il envisage ‘ce qui est concevable par la raison’, c’est-à-dire ce qu’on ne voit pas, mais qu’on peut imaginer”, commente encore le chercheur. 

(1) Ricciardetto A., L’Anonyme de Londres. Un papyrus médical grec du Ier siècle après J.-C., Presses universitaires de Liège, Coll. Papyrologica Leodiensia, 2014
Ricciardetto A., L’Anonyme de Londres. Un papyrus médical grec du Ier siècle après J.-C., Les Belles Lettres, 2016

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