L’Anonyme de Londres : un papyrus médical grec du 1er siècle après J.-C.
Docteur en Langues et Lettres de l’Université de Liège, spécialisé en papyrologie, et depuis peu attaché temporaire “enseignement et recherche” au Collège de France, Antonio Ricciardetto a fait paraître, dans la continuité de son mémoire de master soutenu en 2010 sous la direction de Marie-Hélène Marganne, une édition critique de l’Anonyme de Londres, un papyrus médical grec du 1er siècle après J. -C., accompagné de sa première traduction française. Arrivé au British Museum en 1889 dans des circonstances nébuleuses, ce texte autographe, vraisemblablement de la main d’un médecin, est aussi, avec ses 3,36 mètres, le plus long papyrus médical grec conservé. Déjà recompensé de trois prix – le Prix de la Société française d’histoire de la médecine en 2010, le Prix Marcel-Florkin en 2013 et le prix Zographos en 2016 –, ce travail d’édition et de traduction, d’abord publié aux Presses universitaires de Liège, vient d’être republié aux prestigieuses éditions parisiennes “Les Belles Lettres”.
Une physiologie originaleDivisé en trois parties, le papyrus propose d’abord une section sur la notion de maladie et les définitions que l’on peut en donner. L’auteur s’y range explicitement du côté des Péripatéticiens – les Anciens – par opposition aux Modernes, les Stoïciens. “Cet antagonisme entre les théories des “Anciens” et celles des “Modernes” constitue un thème récurrent dans la médecine de l’époque impériale ; il est attesté en particulier chez Galien”, note Antonio Ricciardetto. Après cette mise au point sur les diverses acceptions de la “maladie”, la deuxième partie, traditionnellement dénommée “doxographie de Ménon”, est consacrée à l’étiologie des affections. L’auteur rassemble, à la manière d’un recueil d’opinions, les conceptions de vingt philosophes et écrivains médicaux datés des Ve et IVe siècles avant notre ère, les classant en deux groupes : ceux qui attribuent les causes des maladies aux résidus d’aliments et ceux qui les attribuent à une mauvaise combinaison des éléments qui constituent le corps. “Cette section a beaucoup intéressé les chercheurs durant le 20e siècle, car sur ces vingt médecins, sept n’étaient pas connus du tout. Quant à ceux qui l’étaient déjà, ce que l’Anonyme de Londres en disait ne correspondait pas toujours à ce qu’on pensait par ailleurs. C’est notamment le cas pour Hippocrate, à qui l’auteur attribue un traité qu’on jugeait à l’époque indigne de lui… L’Anonyme a ainsi représenté un ‘lieu de fouilles’ à la recherche de fragments d’auteurs, ce qui a souvent empêché de le considérer dans son unité”, explique le chercheur. Tant d’attention à cette doxographie a en particulier fait de l’ombre à la troisième et dernière section du papyrus consacré à la physiologie. “C’est une partie pourtant très intéressante où l’auteur défend la théorie selon laquelle des émanations proviennent des corps animés ou inanimés et que celles-ci doivent, pour que l’équilibre soit conservé, être compensées par des apports, sans quoi ces corps dépériraient. C’est une physiologie originale, particulièrement dans la manière dont elle est exposée”, explique Antonio Ricciardetto.Ainsi de ce passage : “Si on prenait un animal, par exemple un oiseau, ou un animal semblable, et qu’on le plaçait pour un certain temps dans une marmite, sans lui donner de nourriture, qu’ensuite on le pesait avec les excréments qu’il a manifestement évacués, on découvrira qu’il y a eu une grande perte de poids, évidemment parce qu’il y a eu une émanation importante, suivant ce qui est concevable par la raison”. “À l’époque, on ne disposait pas de microscope… L’auteur recourt donc aux seuls moyens à sa disposition : l’analogie et l’observation du monde extérieur. Il envisage ‘ce qui est concevable par la raison’, c’est-à-dire ce qu’on ne voit pas, mais qu’on peut imaginer”, commente encore le chercheur. (1) Ricciardetto A., L’Anonyme de Londres. Un papyrus médical grec du Ier siècle après J.-C., Presses universitaires de Liège, Coll. Papyrologica Leodiensia, 2014 |
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