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XVIIème siècle : courage, les précurseurs !
06/04/2012

La guerre perturbe les travaux de l’esprit. Les nouvelles arrivent avec retard, les livres ne circulent plus, les voyages scientifiques deviennent impossibles. Les savants qui entretiennent  des correspondances internationales sont soupçonnés d’« intelligence avec l’ennemi ». Mais les bouleversements politiques provoquent aussi des exils qui sont l’occasion de rencontres avec d’autres penseurs. Ainsi, pour fuir la guerre civile que les tensions religieuses provoquent en Angleterre, le philosophe Thomas Hobbes séjourne à Paris, où il se lie avec le prêtre érudit et mathématicien Marin Mersenne ainsi qu’avec Pierre Gassendi, tout à la fois philosophe et théologien, astronome et mathématicien. Le premier exil du philosophe anglais John Locke le conduit également en France, où il fréquente les disciples survivants du mathématicien, physicien et philosophe français René Descartes. Les Provinces Unies attirent aussi beaucoup de savants condamnés à l’exil. Ce sera notamment le cas de Descartes, de Locke et de l’écrivain et philosophe français Pierre Bayle, protestant fuyant les persécutions religieuses. Car, au siècle précédent, le christianisme a éclaté en morceaux. Rejetant la tradition médiévale qui accumulait les intermédiaires entre Dieu et l’homme, les diverses églises protestantes élaborent une religiosité plus immédiate, débarrassée des bonnes œuvres, de la hiérarchie ecclésiastique, du culte des saints et des images. La Réforme de Martin Luther prend pied au sein de l’Empire germanique et dans les pays scandinaves. Les disciples de Jean Calvin imposent leur Réforme en Suisse, aux Provinces Unies, en Ecosse, dans certaines régions d’Allemagne et, moins largement, en France, où les « protestants » sont surnommés huguenots. L’Angleterre suit une voie particulière, qui aboutira au protestantisme sous l’égide de l’Eglise anglicane.

Le contexte religieux pèse lourdement sur l’élaboration des pensées. Le catholique Descartes, qui réside aux Provinces-Unies, s’emberlificote malgré lui dans le sac de nœuds confessionnel néerlandais. Alors qu’il rêve d’imposer son système dans les collèges de la France catholique, il est contraint de le promouvoir auprès des « hérétiques » bataves. Il tente de prouver que sa philosophie peut expliquer la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Avant lui, Galilée, catholique également, avait supposé, à la façon des calvinistes, que la présence divine dans le pain consacré était symbolique. C’est un « sacré problème » pour les savants catholiques, car la transformation du pain et du vin en corps et en sang du Christ, par le principe de la  « transsubstantiation », est totalement incompatible avec les acquis récents de la science !

A l’univ, les savants « brossent » les cours !

Les grands penseurs du XVIIe siècle ont en commun leur dédain profond pour l’enseignement universitaire traditionnel. Galilée, qui enseigne à Pise et à Padoue, raille volontiers la doctrine officielle. Ce qui aggrave son cas lors du procès qui lui est fait, en 1633, pour avoir épousé la thèse de Copernic selon laquelle c’est le Soleil qui est au centre de l’Univers, et non la Terre, comme le professait l’Eglise. Ni Hobbes ni Locke ne se montrent très assidus à l’université d’Oxford, pas davantage que Newton à celle de Cambridge. Ils boudent les cours et passent leur temps à lire, respectivement, des cartes du ciel, des romans et des ouvrages de sciences naturelles. Dégoûté, Hobbes abandonne la « fac » après avoir obtenu le degré inférieur. Résignés, Locke et Newton subissent la totalité du cursus et entament une carrière académique. Mais ils se consacrent à des recherches scientifiques qui sapent les bases de l’enseignement traditionnel dont ils sont officiellement les hérauts ! Blaise Pascal a plus de chance. Son père, déjà adepte des sciences nouvelles, lui évite un ennuyeux séjour en faculté et lui prodigue, à domicile, un enseignement moderne.

Newton-savantMais pourquoi donc les esprits « éclairés » se détournent-ils de l’université ? Parce que la doctrine qui y est traditionnellement enseignée à l’époque est la scolastique, adaptation chrétienne de la pensée grecque antique, qui s’est imposée au Moyen-âge comme une grille d’analyse unique et définitive des mondes physique et métaphysique. Cette sorte d’horizon indépassable attribue un rôle central à… la théologie. Les savants humanistes des XVe et XVIe siècles ont contesté l’hégémonie scolastique, mais les innovations qu’ils apportent ont rarement passé le seuil des universités...

Privés d’ancrage institutionnel, les intellectuels ont alors créé leur « lieu » propre, une sorte de société virtuelle regroupant les savants occidentaux au sein d’une gigantesque communauté. Cette République « des  Lettres » est appelée ainsi parce que cette expression a priori purement littéraire désigne, jusqu’au début du XIXe siècle, la totalité des disciplines scientifiques. Cette communauté des « lettrés » européens prétend échapper aux contraintes sociales, nationales et confessionnelles de l’Ancien Régime. Ses « citoyens » sont placés sur un pied d’égalité et seul le mérite intellectuel peut, en principe, distinguer les uns des autres. Ainsi fraternisent des fils de paysans, des bourgeois, des nobles et même des têtes couronnées. Hobbes, fils d’un misérable pasteur violent et alcoolique, peut côtoyer Pascal, fils d’un riche rentier déjà converti aux sciences nouvelles. Descartes correspond avec la reine de Suède, éprise de philosophie. Les divergences de vue doivent en principe être réglées sans aigreur, par un dialogue harmonieux. Mais, en pratique, la « République » se soustrait difficilement aux différends religieux, à une époque où la théologie est encore considérée comme une « science » de plein droit, voire « la » science souveraine, aux yeux de certains. De plus, la communauté des savants n’est pas hermétique aux rivalités nationales à cette époque où la guerre fait encore partie du quotidien. La querelle qui, pendant près de vingt ans (1699-1716), oppose Newton et Leibniz à propos de la paternité du calcul infinitésimal, est d’une rare violence. Les protagonistes n’hésitent pas à mobiliser leurs fidèles, qui échangent des pamphlets peu amènes. Et la querelle prendra rapidement une teinte patriotique, opposant le prodige anglais au génie allemand.

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