Les phoques boivent la tasse
Le scénario ressemble à celui d’un épisode des Experts. A la petite différence que les acteurs en blouse blanche s’intéressent ici à des cas d’intoxication des gros mammifères marins de mer du Nord. Ce sont principalement les phoques gris et les phoques communs qui sont visés. Pourquoi ? Parce que situés au sommet de la chaîne alimentaire, ils sont les animaux les plus exposés aux effets délétères de nombreux polluants comme le mercure ou les polluants organiques persistants qui agiraient notamment comme perturbateurs endocriniens, s’attaqueraient au système immunitaire et altéreraient la reproduction. Mais beaucoup de questions restent encore sans réponse. Cerner les risques d’intoxication à ces polluants et établir leurs liens avec des maladies est une opération particulièrement complexe. Depuis une quinzaine d’années, des chercheurs de l’Université de Liège, en collaboration avec bon nombre d’universités belges et étrangères, tentent de percer les mystères de ce phénomène global. Pour y parvenir, ils articulent des disciplines aussi variées que la médecine vétérinaire, l’océanologie, l’écotoxicologie, la chimie, la biologie cellulaire et l’étude de biomarqueurs comme en témoignent plusieurs études récentes (1). De nombreux polluants organiques et inorganiques présents dans nos océans représentent un enjeu écologique majeur. On parle souvent de métaux lourds lorsqu’on pense au mercure ou au cadmium. L’appellation n’étant cependant pas tout à fait correcte chimiquement, les termes « éléments-traces » seront privilégiés. Malheureusement, de nombreux autres polluants peuvent s’accumuler dans les organismes marins. Les polluants organiques persistants sont longues molécules assemblées autour de chaînes de carbone, le plus souvent synthétisées par l’homme. C’est le cas de certains pesticides, ou encore des PCB. Ces composés industriels interdits il y a plus de trente ans sont tellement stables qu’ils restent à l’heure actuelle présents et actifs. Enfin, le polluant le plus familier du grand public reste le mercure. « Il existe à l’état naturel, précise Krishna Das, Maître de recherche FNRS et membre du Laboratoire d’océanologie de l’Université de Liège, mais les activités humaines ont multiplié les émissions atmosphériques en moyenne par trois, comparé à l’époque pré-industrielle. Cette exposition accrue pose bien évidemment question ». Le mercure, sous l’influence d’une activité bactérienne, s’assemble à d’autres composés pour former le méthylmercure. Une molécule organique qui, comme de nombreux polluants, se révèle particulièrement toxique. Toute la chaîne trophique en est affectée. Pour appréhender ces niveaux d’intoxication et quantifier leurs conséquences sur la santé et les comportements animaux, des recherches mêlant campagnes en mer, études en laboratoires, culture in vitro ou encore analyse de biomarqueurs sont nécessaires. L’évolution de la santé animale dépend en effet de tellement de facteurs aux origines diverses qu’il est difficile de rattacher une évolution particulière à un phénomène ou à un autre. Les réponses de la vie animale à son environnement relèvent d’un caractère global. Pour les cerner, les approches doivent être multiples. Une exposition aux polluants peu enviable C’est à cette tâche pharaonique que Krishna Das et ses collaborateurs s’attèlent depuis une quinzaine d’années, s’intéressant aux mammifères marins comme les dauphins, les baleines à bosse, et plus particulièrement le phoque gris et le phoque commun. Deux espèces en haut de la chaîne alimentaire en mer du Nord. En tant que prédateurs, ils sont les plus exposés aux polluants organiques persistants tels que les polychlorobiphényles ou PCBs. Ces polluants industriels sont ingérés et assimilés par toutes les espèces de la chaîne trophique, mais sont peu éliminés par les reins ou par voie fécale. Lipophiles, ils s’accumulent préférentiellement dans le tissus adipeux. On observe un transfert efficace de la proie vers les tissus des prédateurs, depuis le plancton jusqu’au phoque. « On estime que les concentrations de plusieurs polluants sont multipliées environ par dix à chaque niveau trophique, processus qu’on appelle la biomagnification. » Ce processus n’explique pas à lui seul leur haute concentration en polluants. Le phoque est un mammifère et doit maintenir une température corporelle à 37°C, et ce, dans un milieu où les dissipations de chaleurs sont importantes. Pour compenser, il doit manger énormément, plus de 6 % de son poids par jour (variable en fonction notamment des espèces, de la saison, de leur stade de croissance et de leur statut physiologique), sachant qu’un phoque gris peut atteindre 200 kg. Ils possèdent de surcroît une épaisse couche de graisse, qui favorise l’accumulation des polluants lipophiles. Des caractéristiques qu’ils cumulent avec malchance. Mais ces particularités en font aussi des modèles toxicologiques fascinants. (1) Xenobiotic and Immune-Relevant Molecular Biomarkers in Harbor Seals as Proxies for Pollutant Burden and Effects? |
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