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Les taupins mis au parfum
13/09/2016

De là, l'idée de travailler sur le stade larvaire du développement des taupins. Ce qui n'est pas un mince défi... "A Gembloux, nous avons une expertise évidente en Belgique - voire à l'échelle européenne - en matière d'odeurs aériennes. Ce n'est que depuis quelques années, à l'occasion du projet Rhizovol (identification et quantification des composés organiques volatils émis par les racines de l'orge attaquée par des pathogènes), que nous avons commencé à nous intéresser au domaine - beaucoup plus complexe ! - des odeurs souterraines. Si les odeurs aériennes peuvent être véhiculées par le vent sur plusieurs kilomètres et, par exemple, contribuer à l'attraction sexuelle des insectes, il n'en va pas de même dans le sol. Là, la portée des odeurs se réduit en général à quelques dizaines de centimètres. Il y a mille obstacles potentiels à leur propagation, à commencer par l'eau et les particules de terre ou de toute autre nature. La lutte intégrée en est rendue plus complexe. D'ailleurs, dès le stade expérimental, une difficulté méthodologique se pose: comment visualiser les réactions des insectes souterrains soumis à un stimulus? Certes, le CO2 diffusé par les racines agit comme un signal alertant les insectes de la présence d'une vie végétale ou animale proche. Mais ce signal, connu de longue date des chimistes et des entomologistes, reste très généraliste. Il ne dit rien du caractère attractif ou répulsif de la plante. Et, dans le domaine spécifique des larves de taupins, plus rien n'avait été réalisé depuis de nombreuses années. Et en tout cas pas dans le domaine des odeurs". 

Le sol, un défi pour le chercheur

Depuis le travail de Fanny Barsics, Docteure à l'Unité d'Entomologie (diplomée en 2015), la situation évolue. Sous la supervision de François Verheggen, la jeune chercheuse a réussi à identifier les odeurs émises par les racines d'orge de printemps (Hordeum distichon, l'une des espèces végétales les plus attractives) pour attirer les larves du taupin Agriotes sordidus. Par "odeur", il faut entendre un mélange de molécules organiques ayant un poids moléculaire faible, se volatilisant à température ambiante et capable d'activer le système olfactif d'un organisme récepteur. On peut également parler d'un "sémiochimique", c'est-à-dire d'une molécule capable de véhiculer une information vers ce récepteur. "Toute la difficulté a consisté à adapter au sol des méthodes de captation d'odeurs bien connues pour l'air, explique François Verheggen. Le sol est en effet un environnement complexe, comprenant des phases solide, liquide et gazeuse. Toute molécule volatile peut quitter l'air qui y est présent et se solubiliser dans l'eau qui y pénètre ou être immobilisée sur ses particules solides. Pour surmonter cet obstacle méthodologique, nous avons bénéficié de l'aide précieuse de Marie-Laure Fauconnier, Directrice du Service de Chimie générale et organique de Gembloux Agro-Bio Tech et de son doctorant, Benjamin M. Delory. Basée sur le principe de "Prélèvement dynamique de l'espace de tête", leur méthode de capture d'odeurs a fait l'objet d'une publication spécifique (2), parue en 2016 dans Plant Physiology and Biochestry. Couplée à la chromatographie en phase gazeuse, elle nous a en tout cas permis d'identifier, sur la base de prélèvements et de broyats de racines d'orge, quatre molécules - en fait, quatre aldéhydes (molécules organiques composées d'un groupe carbone/oxygène/hydrogène) - émises par celles-ci: l'hexanal, le (E)-hex-énal, le (E) non-2énal et, enfin, le (E,Z)-nona-2,6-diénal". 

Cette étape étant accomplie, il a ensuite fallu démontrer que ces quatre allélochimiques (c-à-d des sémiochimiques impliqués dans une interaction entre deux espèces différentes) font bien partie des substances capables d'agir sur le système sensoriel des larves de taupins et de les guider jusqu'aux racines d'orge. Ne pouvant compter sur l'utilisation d'olfactomètres traditionnels, prévus pour l'étude des odeurs dans l'air, les deux chercheurs ont mis au point des olfactomètres spécifiques à l'observation du comportement des larves souterraines. Élaborés sur une structure "en Y", ils se présentent sous la forme d'un tube d'une trentaine de centimètres muni d'un orifice central qui permet d'introduire la larve. A l'une des extrémités, ils ont d'abord introduit un substrat permettant à une semence d'orge de germer et de s'épanouir. A l'autre extrémité, rien. Ensuite, à nouveau d'un seul côté des olfactomètres, ils ont glissé une mixture odorante comprenant les quatre aldéhydes dilués dans de la triacétine. Ceux-ci étaient présents dans la même proportion que celle mise en évidence lors de la première étape du travail: 47 % pour le (E)-non-2-énal, 31 % pour le (E,Z)-nona-2,6-dienal, 11 % pour le (E)-hex-2-enal et 11 % également pour l’hexanal. Sur le plan du dosage, trois appâts odorants ont été soumis aux larves: 10 microgrammes, 1 milligramme et 100 milligrammes. Pour faciliter le déplacement des larves, les douze olfactomètres utilisés au cours de l'expérience ont été remplis de vermiculite, un matériau isolant friable de faible densité, chimiquement neutre. 

Dispositif Taupin

(2) Barley (Hordeum distichon L.) roots synthesise volatile aldehydes with a strong age-dependent pattern and release (E)-non-2-enal and (E,Z)-nona-2,6-dienal after mechanical injuryBenjamin M. Delory, Pierre Delaplace, Patrick du Jardin, Marie-Laure Fauconnier, Plant and Soil, 2016. 

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