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Les taupins mis au parfum
13/09/2016

Eradiqué des campagnes grâce aux insecticides de première génération, le taupin opère, lentement mais sûrement, son grand retour dans nos champs. Cocasse par ses acrobaties, ce coléoptère n'en est pas moins un redoutable ravageur pour une large gamme de cultures. Pour en venir à bout d'une manière plus respectueuse de l'environnement, des chercheurs de Gembloux Agro-Bio Tech/Université de Liège ont réussi à identifier avec précision les molécules qui poussent ses larves à s'attaquer aux racines de l'orge (1). Ces avancées pourraient être utilisées dans divers dispositifs de surveillance et de piégeage précoces. Une impulsion décisive pour la lutte intégrée contre le taupin. 

Wireworm2

Même si beaucoup ne peuvent lui accoler un nom scientifique, le taupin (famille des Elateridae) est un animal bien connu des praticiens du potager. Ce coléoptère d'environ un centimètre de longueur (il en existe quelque 7 à 9.000 espèces à travers le monde) a la particularité, lorsqu'il est couché sur le dos, de pouvoir se rétablir sur ses pattes grâce à un saut de plusieurs dizaines de centimètres de hauteur, associé à un "clic" bien audible. Ce petit prodige d'effet "ressort", qui a fasciné des générations entières d'enfants, est rendu possible grâce à un petit organe - la saillie posternale – que le taupin bloque entre ses hanches, et qui, une fois libéré, provoque le clic et permet à l’animal de sauter. Ce que le maraîcher amateur ignore le plus souvent, c'est que les larves des taupins, parfois surnommées "vers fils de fer" en raison de leur aspect grêle et cylindrique, vivent l'essentiel de leur longue vie pré-adulte (trois à cinq ans!) enfouies dans le sol à des profondeurs allant parfois jusqu'à plus de deux mètres... Au gré des saisons et des conditions climatiques, ces larves vont et viennent en se rapprochant ou en s'éloignant du sol. Phytophages, elles se frayent un chemin à travers la rhizosphère et se nourrissent des racines de certains végétaux, qui constituent l'essentiel de leurs ressources alimentaires.

Dans certaines zones, les larves de taupin peuvent se compter par millions à l'hectare. Avec les conséquences que l'on imagine pour les cultures concernées... Attaquées, celles-ci périclitent rapidement et présentent un aspect de dessèchement car les racines, consommées par les larves, deviennent incapables de capter l'eau nécessaire au développement de la plante. Pendant une bonne trentaine d'années, les produits phytosanitaires organophosphorés et organochlorés sont venus à bout sans difficulté des taupins (tant à l'état adulte que larvaire) et de quantités d'autres ravageurs telluriques. Mais, maintenant que ces insecticides de synthèse sont pour la plupart interdits pour d'évidentes raisons environnementales et de protection de la santé, l'animal a tendance à sortir de l'oubli et à faire à nouveau parler de lui. Depuis une quinzaine d'années, en effet, des "taches" jaunies et flétries apparaissent de-ci delà dans les cultures de nos régions, sans que le problème atteigne pour autant - à ce stade - les proportions rencontrées dans d'autres pays (France, Autriche, etc.). "Le retour du taupin est un problème bien connu dans la communauté agricole, constate François Verheggen, Chef de travaux à l'Unité d'Entomologie fonctionnelle et évolutive de Gembloux Agro-Bio Tech. Cet insecte fait incontestablement partie de l'entomofaune à surveiller de près, partout en Europe, si l'on veut se prémunir de gros dégâts."

Une protection plus respectueuse

Puisqu'il est désormais impensable d'en revenir à des produits de synthèse frappant aveuglément l'entomofaune, il faut trouver des solutions alternatives: plus ciblées, plus légères, plus fines. La lutte intégrée, qui vise à réduire (voire à supprimer) l'utilisation de produits chimiques en combinant l'usage de diverses techniques compatibles et efficaces, est évidemment l'une des voies les plus prometteuses. La recherche scientifique et le développement industriel ont d'ores et déjà accouché de moyens de lutte intégrée contre le taupin adulte. On connaît, en effet, les principales phéromones intervenant dans la reproduction du petit coléoptère. Depuis une quinzaine d'années, ces molécules sont utilisées pour attirer et duper les insectes, qu'il suffit alors de détruire après la capture. Le problème, c'est que le profil de ces phéromones doit encore être affiné, notamment en fonction de la région dans laquelle elles sont utilisées. Le plus souvent, en raison de leur coût, elles ne sont utilisées qu' à des fins de surveillance des populations (monitoring) et non pour des piégeages à grande échelle. "De plus, lorsqu'ils existent, ces pièges ne capturent généralement qu'une faible proportion d'adultes présents dans les cultures, regrette François Verheggen. Capables de voler sur plusieurs centaines de mètres, ceux-ci se caractérisent par une très grande mobilité. Les diffuseurs d'odeurs, censés les attirer, ne sont efficaces que dans un diamètre de quelques dizaines de mètres tout au plus. Si bien qu'en conditions réelles, les infestations ne sont pas vraiment endiguées."

(1) Foraging wireworms are attracted to root-produced volatile aldehydes, Barsics, Fanny et al. Journal of Pest Science, 2016.
Taupins: à la découverte des odeurs de racines ; Barsics Fanny et al. Phytoma, 2016 (http://orbi.ulg.ac.be/handle/2268/197539).

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