Une société de tolérance et de solidarité, rassemblée autour d’un consensus « social-libéral » : selon Marc Jacquemain, c’est l’armature qui semble caractériser le mieux l’identité wallonne contemporaine, à la lumière des enquêtes d’opinion réalisées au cours des vingt dernières années. Son analyse est cependant assortie d’un avertissement : pour deux raisons au moins, ce consensus risque d’être fragilisé.
Comme point de départ de sa réflexion, Marc Jacquemain, professeur à l'Institut des Sciences humaines et sociales de l'université de Liège, évoque les résultats d’un sondage, publié par La Libre Belgique, sur les sentiments d’appartenance des Belges : 44% des personnes interrogées se définissent « d’abord » comme belges, 26% comme flamands, 4% comme wallons, 11% comme européens et 11% comme « citoyens du monde ». Sachant qu’il y a, en Belgique, environ 60% de néerlandophones et 40% de francophones, on pourrait en conclure que 45% des néerlandophones se définissent comme d’abord Flamands et 10% des francophones comme d’abord Wallons. Ce qui conforte une idée répandue sur la Belgique : il existe une identité flamande, il existe une identité belge ; il n’existe pas vraiment d’identité wallonne.
Mais, observe l’auteur dans l'article qu'il signe dans un ouvrage collectif qui vient de paraître (1), ce raisonnement repose tout entier sur un petit mot contenu dans la question posée, et qui pose problème : c’est le mot « d’abord ». Il signifie que la question mesure une « priorité ». Mais il ne nous dit rien sur l’intensité de cette priorité. « On peut penser que l’identité wallonne tout entière se dissimule dans cette ‘‘tache aveugle’’ », suggère Marc Jacquemain.
A l’appui de son raisonnement, il évoque un symbole, « particulièrement expressif de l’identité wallonne », qui ornemente une fenêtre proche de son domicile : deux drapeaux superposés y montrent un coq wallon sur fond du drapeau tricolore de la Belgique. « Le cœur de l’identité wallonne est là, argumente l’auteur : ce n’est pas une identité à prétention exclusive ou même hégémonique. C’est une identité qui vit en symbiose avec l’identité belge : massivement, en Wallonie, on est wallon et belge au moment où une part croissante de la population, au nord du pays, se sent flamande plutôt que belge. » Ce qui explique que l’identité flamande se décline autrement, avec une soif intense de symboles et d’affirmation, comme une demande jamais assouvie de reconnaissance.
Si l’on pose aux Wallons la question « vous sentez-vous d’abord wallons ou d’abord belges », il faudrait au moins leur laisser la possibilité de répondre « les deux à la fois », ce que les enquêtes font rarement. Or la manière de poser la question influence très fortement la réponse que l’on obtient. Et les sentiments d’appartenance à telle ou telle entité ne sont pas forcément en concurrence : émettre des « priorités » n’est pas le réflexe naturel des gens.
Il y a d’autres façons de formuler la question, et c’est ce qu’a fait le Centre d’Etude de l’Opinion de l’ULg (CLEO) dans huit enquêtes menées entre 1988 et 2007. Plutôt que de demander des préférences, on a essayé de savoir, de manière indépendante, dans quelle mesure les Wallons éprouvent un sentiment d’appartenance à la Belgique, à leur région, à l’Europe. Et le résultat, chez l’immense majorité des sondés, est que plus on se sent wallon, plus on se sent belge. Dans un tel contexte, la question de savoir « ce qui est prioritaire » est fortement relativisée puisque les appartenances sont ressenties comme complémentaires, et non concurrentes. Et, d’année en année, cette complémentarité des identités est largement dominante dans toutes les strates de la population wallonne, à quelques muances près, résume Marc Jacquemain.