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Une note salée pour le gaz de schiste
18/05/2016

Et si seulement il n’y avait que l’éthane

Ce n’étaient pourtant là que les résultats d’un premier modèle, et la volonté était de rendre ces observations plus robustes encore. Or, quand son origine est bien ciblée, l’éthane est un bon indicateur de l’émission du méthane. Car c’est ici un autre dommage conséquent pour l’atmosphère, l’exploitation par fragmentation hydraulique libère également du méthane, de manière plus ou moins proportionnelle aux émissions d’éthane. Une propriété dont l’équipe de chercheurs a pu tirer profit pour exploiter un deuxième modèle.

« Pour le premier modèle, qui partait des inventaires, on parle de technique « bottom-up », du bas vers le haut. On part des inventaires pour calculer le contenu de l’atmosphère. Cela ne constituait pas une preuve suffisante pour vérifier nos hypothèses. Nous avions besoin d’un levier supplémentaire. Nous voulions vérifier ces données par une approche « top-down », du haut vers le bas. Nous voulions donc capter les flux par satellite et en déduire de nouveaux inventaires. » Cependant, des mesures directes des flux d’éthane par satellite ne sont pas disponibles. Par contre, le méthane, lui, est bien observable depuis l’espace. Il devenait dès lors possible, sur base de la quantité de méthane émise depuis la région incriminée, de déduire approximativement le flux d’éthane. « C’était la finalité d’Emily Fischer et de son groupe, également basés au Colorado. Ils utilisaient pour y parvenir le modèle GEOS-Chem, développé par Harvard. Ce modèle tient compte de mesures à haute définition de l’émission du méthane. La fine résolution disponible permet de cartographier précisément ces flux. Parallèlement, ils ont dressé une carte des puits d’extraction, qui sont aujourd’hui plus de 500 000, et ont comparé cette distribution de puits avec l’intensité des émissions de méthane. Ils ont donc pu quantifier ces flux, les attribuer à cette activité et en déduire une estimation de l’éthane, de manière tout à fait indépendante de nos observations et des calculs du premier modèle. Et tous nos résultats sont parfaitement concordants. Ce qui nous rend assez confiants pour pouvoir pointer du doigt l’industrie pétrolière américaine et l’exploitation massive du gaz de schiste. Car nous savons d’où ces émissions viennent, et en quelle quantité. »

Evolution taux ethane 

Le méthane, un gaz épineux à modéliser

Maintenant, si l’émission d’éthane a augmenté de 75% par la seule exploitation du gaz de schiste, le flux de méthane a également augmenté de manière proportionnelle, vu que le rapport de leur concentration respective reste globalement le même. Ce qui n’est pas une bonne nouvelle non plus, mais qui n’était pas évident à remarquer. « Les rizières, les marais, le permafrost ou le bétail, et j’en passe : il y a plus d’une dizaine de sources naturelles et anthropiques de méthane dont on doit tenir compte quand on cherche à modéliser son émission tout autour du globe. Donc si l’activité pétrolière augmente, la part de méthane relâchée dans l’atmosphère sera moins visible que dans le cas de l’éthane. Le rapport entre le méthane et l’éthane est une véritable aubaine pour contraindre plus fidèlement les émissions de méthane dues à l’industrie pétrolière. Nous avons ainsi pu observer que, en 2009, l’extraction du gaz de schiste générait 20 millions de tonnes de méthane en plus dans l’atmosphère. En augmentant ce flux de 75%, nous arrivons  à 35 millions de tonnes émis en 2014. Pour le remettre dans le contexte, le méthane augmentait de 1% par an jusqu’en 2000, avant d’atteindre un palier pendant 5 ans, sans qu’on ne comprenne les causes de cette stagnation. Mais depuis, il croît à nouveau, à raison de 0,3% par an. Nous estimons qu’un tiers de cette augmentation serait dû à l’exploitation du gaz aux Etats-Unis. » 

En joignant l’éthane au méthane et en les associantà l’extraction du gaz naturel, la publication pointe donc deux types d’effets néfastes, qui touchent tant à la qualité de l’air qu’au réchauffement climatique. Mais les chercheurs ne s’arrêtent pas là. « Nous ne sommes plus dans l’hypothèse. Depuis notre étude, c’est une réalité attestée. Nous allons continuer les études globales, et puis passer à la vitesse supérieure et tenter d’influencer les décisions en fonction de nos résultats. Nos informations doivent être disponibles et fiables, et nous allons continuer de travailler à ça. Nous avons notamment un collègue au Colorado qui est en train de mesurer sur des dizaines de sites la concentration de gaz dont la durée de vie est beaucoup plus courte. L’un des avantages de ces gaz est que si on les mesure quelque part, c’est que leur source est très proche, là où nous avons capté des émissions d’éthane à plusieurs milliers de kilomètres de leur source. Si les résultats sont significatifs, nous pourrons davantage encore identifier les effets délétères de l’extraction du gaz de schiste. Nous allons également étudier les données de tous les sites du réseau NDACC, pour obtenir une cartographie globale de ces émissions. Nous aimerions également faire du mapping à très haute résolution pour mieux identifier les variations de ces émissions. Déterminer par exemple si les pertes sont plus importantes dans les puits en activité, ou dans des puits abandonnés qui ont été mal refermés, ou encore si ces flux sont plus importants dans certaines zones bien précises, en fonction des couches géologiques. Ce sont autant de nuances que nous ne discernons pas pour le moment. Et je ne dis pas que je plaide nécessairement contre l’extraction du gaz de schiste, mais peut-être qu’au moins, ce type de connaissance pourrait permettre d’augmenter l’efficience de l’extraction et de réduire drastiquement les fuites . » 

Lire également la carte blanche de Bruno Franco Gaz de schistes parue dans le 15e jour du mois

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