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Voyage au bout de l'extrême droite
18/05/2016

Et pourtant, ceux qui s'adonnent si volontiers à ce genre d'expressions ne naviguent pas nécessairement dans les eaux troubles d'une extrême droite pure et dure. Ils bourlinguent plutôt « dans une zone grise qui semble parfois compatible avec le jeu démocratique même si les idées, les hommes et les femmes, les angoisses, les peurs, les projets et les alliances qu'elle regroupe rappellent les partis d'extrême droite », reconnaît Jérôme Jamin. Qui ajoute : « Une zone grise qui rassemble aussi des mouvements, des blogs, des réseaux sociaux qui rejettent toute initiative politique et électorale au profit d'une bataille pour les idées à l'instar de [...] la vaste blogosphère islamophobe qui a inspiré, notamment, Anders Breivik [auteur du massacre de septante-sept personnes le 22 juillet 2011 en Norvège]. Une zone grise où l'on trouve des partis politiques habiles, capables de redéfinir la lutte contre l'immigration dans le cadre d'un discours à prétention laïque, républicaine, démocratique, hostile aux religions. » Cela expliquerait ce renversement au premier abord surprenant : la mise en sourdine d'un antisémitisme atavique pour mieux se concentrer sur un rejet des immigrés issus du Maghreb, d'Afrique subsaharienne et des régions où sévit la guerre (Syrie, Irak, Afghanistan, etc.),  l'État d'Israël étant vu de surcroît comme un rempart contre les « hordes » arabes. Pire, ou mieux selon le point de vue : on vole au secours de l'homosexuel par haine du musulman, qui serait « machiste » de nature...

Après avoir décrypté pays par pays les signes tangibles de la poussée de l'extrême droite – zone grise comprise – au sein de l'Europe, la troisième partie de l'ouvrage braque son attention sur les résultats des élections européennes de mai 2014, lesquelles ont vu un succès électoral important de partis dits populistes ou nationaux-populistes, à tout le moins eurosceptiques sinon franchement europhobes. Dans cette catégorie, où les États de l'Europe centrale et orientale se distinguent particulièrement par leur rejet de Bruxelles, le Front national de Marine Le Pen fait quelque part figure de leader, même s'il lui a été difficile de constituer un groupe parlementaire à Strasbourg. Depuis juin 2015, c'est chose faite : « Europe des nations et des libertés » comprend notamment la Ligue du Nord italienne, le Parti de la liberté autrichien (FPÖ), le Parti pour la liberté néerlandais (PVV) et le Vlaams Belang belge.

Des obsessions communes

Ces formations, avec les Démocrates suédois entre autres, sont des partis « possédant le plus solide fonds idéologique commun », au dire de Jean-Yves Camus. Ce spécialiste des droites nationalistes et radicales en Europe ajoute, dans une de ses deux contributions de l'ouvrage : « La très vaste littérature scientifique existante privilégie pour la définir [cette sous-famille de l' "extrême droite"] les trois critères du nationalisme, de l'ethnocentrisme et du positionnement anti-système. Sa capacité à attirer les "perdants de la globalisation" a été mise en avant. On ne saurait oublier sa dimension post-moderne, correspondant à une société atomisée, consumériste, et où les utopies mobilisatrices, qu'elles soient politiques ou religieuses, ont disparu. Cela laisse d'autant plus d'espace pour les bricolages identitaires que, tout en se réclamant de l'idéal européen, les droites conservatrices et libérales n'ont toujours pas clairement donné de définition cohérente de l'homme européen, son identité et sa culture. » On le voit, les composantes de ce que l'on nomme un peu hâtivement « extrême droite » sont nombreuses : il serait néanmoins hors de propos de les considérer comme peu pertinentes, voire politiquement négligeables.

C'est que les nouveaux médias impactent la structuration idéologique des mouvements transnationaux. Ceux-ci pèsent sur les représentations collectives, sans pour autant chercher systématiquement à jouer un rôle politique direct à travers les élections. Jadis, certaines idées marginales, mais opposées au consensus démocratique, étaient contraintes à ne circuler que dans l'intimité de revues ou de simples brochures, rarement accessibles en dehors de quelques librairies spécialisées. Ce n'est plus le cas aujourd'hui : les vannes sont ouvertes grâce aux blogs, réseaux sociaux et outils technologiques de pointe. Les trois chapitres de la quatrième partie de L'extrême droite en Europe permettent d'en prendre conscience : l'exercice sera cependant plus aisé pour ceux que la langue de Shakespeare ne rebute pas, puisqu'ils sont écrits en anglais. Comme certains autres qui précèdent, d'ailleurs.

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