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Un champignon tueur de moustiques
18/05/2016

Pour venir à bout des hôtes indésirables de l'environnement, les insecticides de synthèse n'ont plus vraiment la cote. Parmi les outils disponibles dans le contrôle biologique figurent diverses souches de champignons, dont des Aspergillus. Encore faut-il comprendre en profondeur le pouvoir insecticide de ces micro-organismes, afin de bien contrôler leur action dans des conditions naturelles. C'est à cette tâche que s'est attelé Thomas Bawin pour sa thèse doctorale. Au centre de son attention, un redoutable moustique des régions tropicales et subtropicales: Culex quinquefasciatus.Lors de ses expériences, le chercheur a constaté que les spores d’Aspergillus ingérées par les larves des moustiques deviennent de plus en plus actives au fil des heures, ce qui se traduit par la sécrétion de composés toxiques capables d'endommager l'épithélium digestif et les tissus musculaires des larves.

Utiliser des champignons pour éliminer des insectes pathogènes : une telle hypothèse, il y a quarante ou cinquante ans, en plein essor des insecticides organiques de synthèse (DDT, etc.), aurait provoqué indifférence ou sarcasme dans la communauté scientifique et agricole. Aujourd'hui, la lutte biologique ne fait plus sourire personne. On sait d'ores et déjà que 700 à 800 espèces de champignons sont susceptibles d'infecter et tuer de nombreux insectes ou acariens. Ces champignons dits "entomopathogènes" se répartissent essentiellement au sein de deux groupes: les Zygomycètes et les Ascomycètes.

Aspirgillus clavatus

Les Aspergillus font partie de cette deuxième catégorie. Ces champignons saprophytes se présentent sous la forme de longs filaments. On en trouve partout dans le monde et dans des écosystèmes très divers, depuis les matières organiques qui se décomposent dans la nature jusqu'aux aliments oubliés qui pourrissent au fond de nos frigidaires. Du fait de leurs interactions étroites avec les insectes dans l’environnement, certaines espèces d'Aspergillus peuvent développer un comportement pathogène sur ceux-ci. Sur le plan scientifique, ce phénomène reste globalement peu documenté. Si quelques souches ont bien été isolées depuis divers insectes malades et montrées responsables de leurs maux, les mécanismes d'action menant à la mort de l’insecte, les composés impliqués et le spectre d’hôtes potentiellement infectés ont été peu étudiés. Cette zone d'ombre rend très aléatoire - voire dangereuse - toute utilisation de ces champignons dans l'environnement.

Un moustique bien gênant pour l'homme

C'est dans ce cadre que s'inscrivent les travaux (1) de Thomas Bawin, doctorant au Laboratoire d'Entomologie fonctionnelle et évolutive à Gembloux Agro-Bio Tech (Université de Liège) sous la ditection des professeurs Frédéric Francis et Frank Delvigne, promoteurs de sa thèse. "Un des gros problèmes de la lutte biologique, c'est de pouvoir isoler des agents (par exemple des champignons) qui soient bien spécifiques à la cible visée (par exemple un moustique), alors que les conditions de pulvérisation peuvent être très variables (température, humidité, etc.) et, de ce fait, nuire à leur efficacité". Dans la foulée des travaux du chercheur sénégalais Fawrou Seye, ancien post-doc à Gembloux et aujourd’hui enseignant-chercheur à l’UFR des Sciences de la Santé de l’Université Gaston Berger de Saint Louis (Sénégal), le jeune biologiste s'est particulièrement intéressé à l'Aspergillus clavatus et, dans un deuxième temps, à l'Aspergillus flavus, deux entomopathogènes opportunistes.

Le choix des deux experts s'est porté sur une espèce bien connue dans les zones tropicales et subtropicales, le Culex quinquefasciatus. De taille moyenne, ce moustique est essentiellement nocturne. Sa femelle a pour particularité de piquer prioritairement les oiseaux et, lorsqu'elle n'en trouve pas, de s'en prendre aux humains après avoir investi leurs lieux de vie au gré de bourdonnements prononcés. Plus grave: le Culex quinquefasciatus est vecteur de maladies aussi redoutables chez l'homme que la filariose lymphatique, causée par de minuscules vers parasites (nématodes) et caractérisée par l'atrophie des membres. A l’heure actuelle, près de 120 millions de personnes des régions tropicales et subtropicales sont atteintes par la filariose. L'insecte a également la spécificité de produire des larves en très grandes quantités, capables de coloniser entièrement la surface d'eaux polluées: flaques, caniveaux, égouts, fosses septiques, etc.

"La première partie de notre travail a consisté à évaluer le pouvoir pathogène d'Aspergillus clavatus et d'Aspergillus flavus par comparaison avec un pathogène bien connu, le Metarhizium anisopliae, dont certaines souches sont déjà agréées dans le commerce pour la lutte biologique d’autres insectes. Pas simplement à évaluer le pouvoir insecticide, mais aussi la capacité à produire des spores (les propagules responsables de l'infection) sur deux types de substrats pouvant être utilisés pour la mise en culture de tels organismes: le riz blanc et le son de blé". L'opération, menée d'abord à petite échelle dans des fioles d'incubation puis reproduite dans des bioréacteurs, s'est vite avérée concluante: la culture des Aspergillus sur ces deux substrats est aisée et peu onéreuse. Par ailleurs, le pouvoir insecticide des spores vis-à-vis des larves du moustique est, grosso modo, identique à celui des spores de Metarhizium

(1) Histopathological effects of Aspergillus clavatus (Ascomycota: Trichocomaceae) on larvae of the southern house mosquito, Culex quinquefasciatus (Diptera: Culicidae), 2016, Fungal Biology.

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