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Le lac Kivu, un eldorado à surveiller
29/04/2016

Des modèles climatiques régionaux mis en place par l’équipe de modélisateurs de la KULeuven ont permis d’établir que ces variations pourraient être exacerbées sous l’influence de l’évolution des conditions atmosphériques. Des saisons des pluies plus longues renforceraient la stratification de la colonne d’eau, réduisant les périodes de prolifération du phytoplancton et menant donc à une diminution naturelle de la productivité à tous les échelons dont les poissons. « Établir cette importance de l’humidité atmosphérique a été l’une des grandes conclusions que ces modèles ont permis d’avancer, expliquent les chercheurs. Le vent, comme source d’énergie mécanique du brassage des eaux a une importance que nous avions surestimée. Le principal phénomène de refroidissement des eaux de surface, et donc d’un meilleur mélange, c’est l’évaporation, qui se traduit par une perte d’énergie et donc une perte de chaleur. » Or, cette évaporation sera plus efficace en saison sèche. « A court terme, on ne peut pas faire grand chose pour enrayer ces évolutions climatiques, constate Jean-Pierre Descy. Par contre, ces enseignements permettent de réagir pour diminuer le risque d’appauvrissement du lac. En réfléchissant par exemple à une meilleure gestion des pêches, qui tiendrait compte de l’évolution saisonnière des stocks des poissons. Mais il faudrait pour proposer une régulation des pêches en avoir une meilleure connaissance statistique. Savoir quelle est l’évolution réelle du rendement de la pêche au cours de l’année. Ce recensement est assez bon pour le Rwanda, mais encore embryonnaire pour la RDC. »

La télédétection pour généraliser les observations

Les approches traditionnelles pour obtenir des informations sur les caractéristiques des eaux telles que la température ou la concentration en chlorophylle indicative de la quantité de phytoplancton, qui peut livrer des indices sur la productivité biologique du lac, sont assez classiques et coûteuses. Lors de campagnes, un bateau prélève périodiquement un échantillon d’eau. On obtient alors des informations ponctuelles à un moment donné et souvent à différentes profondeurs, opération que l’on peut répéter dans l’espace et dans le temps pour commencer des études statistiques et comparatives. Pour obtenir des données plus représentatives sur l’ensemble du lac, cette méthode peut être secondée par la télédétection, ou l’analyse d’images satellites. Dans le cadre du projet EAGLES, ce type de données a été délivré par une équipe de deux chercheurs sous la responsabilité de Yves Cornet, chargé de cours à l’unité de géomatique de l’ULg, à la suite d’une application similaire fructueuse sur le lac Tanganyika. « La télédétection permet donc d’acquérir par imagerie satellitaire des données quotidiennes en surface pour l’entièreté d’un système, et est idéale pour mettre en évidence sa variabilité, en appui aux méthodes d’échantillonnages traditionnelles, développe Yves Cornet. Dans le cadre du lac Kivu, ces récoltes devaient nous permettre d’avoir une idée plus précise des variations de la température des eaux de surface et des fluctuations de production primaire, en observant la concentration en chlorophylle-a,. » Si la technologie a été particulièrement efficace pour le lac Tanganyika, le lac Kivu s’est malheureusement montré plus farouche. « Nous avons dû essuyer une série de perturbations propres à la physiographie et à la climatologie de la région qui ont rendu une majorité de nos données peu exploitables. » Malgré ses 2.700 km2, le lac est en réalité trop petit pour une récolte efficace. « Partout sur le lac, les côtes ne sont jamais loin et renvoient une lumière qui parasite le signal enregistré par les capteurs. Et puis la couverture nuageuse était souvent trop importante. Dans le cas du lac Tanganyika, beaucoup plus vaste, malgré des conditions climatiques similaires, nous avions plus de chances d’observer des zones sans nuages. Mais pour le lac Kivu, nous n’obtenions parfois qu’une seule donnée de bonne qualité par semaine en quelques points du lac, qu’il fallait encore pouvoir comparer avec les informations récoltées sur le terrain pour calibrer nos méthodes de calcul. » Une tâche rendue plus ardue encore par la relative pauvreté écologique du lac. « Le Kivu est un lac oligotrophe. Même en saison sèche, la production primaire reste très faible, et la concentration en chlorophylle-a l’est tout autant. Le signal était donc souvent très pauvre, et les perturbations, importantes. Ce qui suscitait de sacrés défis pour obtenir des produits de qualité. » Toujours est-il que ces données satellitaires ont délivré des informations assez précises sur la température en surface, ce qui permettra de mieux comprendre le comportement spatial et temporel des eaux du lac depuis plus d’une décennie pour mieux présager des évolutions futures.

Lire l’histoire du lac dans ses sédiments 

Le prélèvement de carottes sédimentaires et l’analyse de différents composants des sédiments, dont des fossiles comme les diatomées, permet de reconstituer l’histoire d’un lac (paléolimnologie). Dans les grands lacs d’Afrique de l’Est, dont le Lac Kivu, ce type de recherche devait permettre d’observer des réponses de l’écosystème à des changements survenus autrefois, et donc de dresser des analogies avec des scénarios futurs. « On a pu relever toute une série de variations importantes en termes de richesse en nutriments, ou de stratification des eaux, explique Jean-Pierre Descy. Mais le lac Kivu a une particularité géochimique qui nous empêchait de dater les prélèvements avec une précision suffisante pour pouvoir rapporter ces variations à des événements climatiques. » Ces carottages ont par contre permis de tester des hypothèses sur l’histoire récente du lac, basées sur des échantillonnages discutables. « Par exemple, relève Alberto Borges, l’introduction de sardines endémiques du lac Tanganyika pour peupler le lac Kivu a été vue par beaucoup comme une catastrophe écologique. Notamment, ces sardines auraient éradiqué une espèce de daphnie observée dans un échantillon prélevé dans les années 50. Nous n’avons trouvé aucune trace de l’existence passée de cette daphnie dans nos carottes sédimentaires, et il est vraisemblable qu’elle n’a jamais peuplé le lac Kivu. Par contre, nous avons pu évaluer, sur base de données anciennes, que le plancton animal (zooplancton) était trois fois plus abondant avant l’introduction des sardines. » « Ce qui est normal, relance Jean-Pierre Descy. Le lac était un véritable paradis pour le zooplancton, qui n’avait alors aucun prédateur. Plutôt que d’amorcer une catastrophe écologique, la sardine a plutôt rétabli un équilibre « naturel » ou du moins tel qu’observé dans d’autres lacs. L’une des preuves de cet équilibre retrouvé est que depuis 30 ans, le stock de sardines, estimé par des méthodes hydroacoustiques (échosondages), semble rester constant. »

Strucutre lac Kivu

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