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Le mystère de l’extinction des ichtyosaures
08/03/2016

Le très dense article (1) publié dans Nature Communications et dont Valentin Fischer, chargé de cours à l’Université de Liège, est le premier auteur, lève un peu plus le voile sur l’extinction des ichtyosaures à la fin du Crétacé. Mais son intérêt vient aussi des méthodes utilisées pour y parvenir : plutôt que de considérer les moyennes de certaines variables sur de longues périodes (plusieurs millions d’années), les chercheurs ont cette fois eu accès à des données (niveau des mers et température globale) qui leur ont permis une analyse plus fine, rendant compte de la dynamique des phénomènes environnementaux durant le Crétacé. Ils ont pu en déduire que les ichtyosaures avaient disparu rapidement (mais pas de manière brutale) en deux phases, coïncidant avec les bouleversements profonds des milieux marins dus notamment, voici 95 millions d’années, à la séparation rapide des continents. Le niveau des mers était alors jusqu’à 150 mètres plus élevé qu’aujourd’hui et toute glace avait disparu de notre planète !

Les ichtyosaures, Valentin Fischer, chargé de cours au département de géologie de l’Université de Liège, les connaît bien. Il leur a consacré sa thèse de doctorat (lire La fausse extinction des ichtyosaures et Le nageur hors du temps), montrant notamment qu’ils n’avaient pas disparu à la fin du Jurassique (il y a 145 millions d’années), mais bien plus tard, à la fin du Crétacé (95 millions d’années).

Derniers ichtyosaures

« On connaissait bien les ichtyosaures au début de leur histoire (Trias-Jurassique – de -250 à -150 millions d’années), rappelle Valentin Fischer, mais pas au Crétacé. Notamment en ce qui concerne leur diversité. » Les paléontologues avaient dès lors formulé trois hypothèses quant à leur disparition. La première était celle du lent déclin, sans raison précise. La deuxième faisait intervenir la compétition entre organismes. L’arrivée de nouveaux poissons rapides vers le milieu du Crétacé ou de nouveaux reptiles comme le mosasaure, plus forts, plus rapides, auraient contraint les ichtyosaures à la disparition. La troisième supposait une disparition de leur nourriture. Il était en effet convenu qu’ils ne mangeaient qu’un aliment, des petits céphalopodes de type bélemnite. Et ceux-ci ayant en partie disparu, les ichtyosaures auraient suivi. « Ces trois hypothèses ont cependant un point commun, explique Valentin Fischer : elles présupposent que les ichtyosaures étaient peu diversifiés au Crétacé, qu’il y avait peu d’espèces et qu’ils ne savaient pas répondre aux changements de compétition, de nourriture. » Dans sa thèse de doctorat, Valentin Fischer a donc examiné quantité de fossiles issus du Crétacé pour voir quelle était la diversité à cette époque et la comparer avec le Jurassique.

Résultat ? Contrairement à ce qu’on pensait, beaucoup d’espèces différentes au niveau de la taille, de la forme des dents et du crâne ont cohabité au Crétacé. Face à cette constatation, il était permis de déduire que l’extinction des ichtyosaures a donc été quelque chose d’assez abrupt puisqu’il y avait de nombreuses espèces différentes provenant d’une radiation qui s’était produite il y a longtemps et qui avaient des formes différentes occupant des niches écologiques différentes. « Ma thèse s’arrêtait sur cette constatation, explique Valentin Fischer. Lors de mon post doc, d’abord à Liège puis à Oxford, j’ai décidé de faire ce qu’on appelle de la paléontologie quantitative. C’est-à-dire  quantifier l’évolution de la diversité et de l’extinction. Est-elle abrupte ? Est-ce que cela va toucher aussi les niches écologiques des ichtyosaures ? »

Trois niches

Les résultats de ces recherches publiés dans Nature Communications viennent corroborer et compléter la thèse du chercheur liégeois. Il semble en effet y avoir eu à la fois une diversité (le nombre d’espèces différentes) et une disparité (le nombre de morphologies différentes) importantes chez les ichtyosaures au Crétacé. « Et, précise Valentin Fischer, ils n’avaient jamais été aussi disparates depuis la fin du Trias (210, 220 millions d’années). En outre, cette disparité semble avoir duré jusqu’au milieu du Crétacé : on a un pic de disparité vers 120, 130 millions d’années. Et cela allait de pair avec le fait qu’on semble avoir aussi beaucoup d’espèces. »

Les chercheurs ont également analysé les niches écologiques des ichtyosaures au Crétacé à partir de mesures des crânes et des dents et, dans certains cas, à partir du contenu stomacal. Il s’en est dégagé trois groupes bien distincts. Le premier se définit par une population possédant de grosses dents, usées, souvent cassées. Et c’est uniquement dans des animaux appartenant à ce groupe que les estomacs contenaient des restes de tortues, gros poissons ou oiseaux. Ils semblent donc être au sommet de la chaîne alimentaire. Un deuxième groupe se caractérise par une population d’ichtyosaures ayant de très petites dents, très fines, sans rapport avec la taille de l’animal. Leur estomac contenait des restes de céphalopodes mais sans doute mangeaient-ils aussi des petits poissons Ce sont eux aussi qui ont les yeux les plus grands (sans doute les plus grands du monde animal avec des pupilles dépassant les 10 cm de diamètre !), faisant d’eux des plongeurs en eau profonde. Enfin, un troisième groupe présente les caractéristiques précises des deux autres. « On se trouve donc bien face à des espèces différentes d’ichtyosaures qui, par convergence, vont occuper trois niches écologiques distinctes, résume Valentin Fischer. Et ces niches vont perdurer presque jusqu’à leur extinction. Autrement dit, dans la majeure partie de leur règne et jusqu’à peu avant leur disparition, ils sont très diversifiés. Une diversification qui rend caduques les trois  hypothèses émises auparavant sur leur disparition, basées, rappelons-le, sur une faible diversité. Prises séparément, elles n’expliquent plus la disparition des ichtyosaures. »

(1) Extinction of fish-shaped marine reptiles associated with reduced evolutionary rates and global environmental volatility, Valentin Fischer et al. Nature Communications 2016.

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