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Les territoires périurbains
07/03/2016

Des campagnes répulsives et des villes attractives

Partout dans le monde, les villes attirent. L'habitant de la campagne espère y vivre mieux, y augmenter son revenu, y avoir un accès plus aisé à l'eau, à la nourriture, aux soins de santé et, aussi, offrir une meilleure scolarité à ses enfants. "Dans les pays en voie de développement, le niveau de vie des quartiers urbains défavorisés est souvent meilleur que le niveau de vie des populations restées au village, précise Jean-Marie Halleux, Professeur de géographie économique et spécialiste en aménagement du territoire. Mais si la ville attire, il faut aussi compter avec un facteur répulsif lié à la campagne : sous l'effet démographique, l'accès à la terre se révèle de plus en plus difficile pour les agriculteurs. Ce double phénomène attraction/répulsion est au cœur de la transition urbaine et du développement des espaces périurbains. Ces derniers peuvent être définis comme des espaces qui ne sont pas majoritairement bâtis et qui se situent à proximité d'une zone urbaine densément peuplée, avec laquelle s'exercent d'importants échanges".

En Afrique plus qu'ailleurs, les territoires périurbains se caractérisent par une pression démographique particulièrement forte, mais aussi par des modes de gouvernance hybrides. La concomitance de ces deux phénomènes conduit à y limiter l'offre de services de base – ceux-là même que les habitants des campagnes viennent chercher – et à y exercer une pression considérable sur les ressources naturelles. Des exemples ? Parmi les contributions sollicitées par Jan Bogaert et Jean-Marie Halleux, il y a la façon de se soigner. "A la campagne, le tradipraticien (NDLR: le "sorcier", le soignant traditionnel) demeure le personnage clé auquel on s'adresse en cas de problème médical, explique Jan Bogaert. En ville, par contre, les populations bénéficient plus souvent des services de santé "classiques" (via les hôpitaux, les dispensaires, les réseaux de soignants professionnels, la distribution de médicaments non falsifiés, etc.). Dans les territoires périurbains, c'est également au tradipraticien que l’on s'adresse, mais avec une grosse différence par rapport à la campagne : les liens sociaux y étant moins développés (vu la plus forte densité de population), le contrôle social s'exerce sur lui avec moins d'acuité. Résultat : les charlatans peuvent y mener leurs activités pendant longtemps avant d'être rejetés par la communauté. La qualité des soins de santé, évidemment, s'en ressent".

Mont Ngafula

Le parc des Virunga, en voie de déclassement ?

Aborder la santé revient à toucher du doigt les délicats problèmes de gouvernance. Si les populations périurbaines continuent de s'adresser aux tradipraticiens (au risque de voir leur santé s'étioler), c'est parce que les infrastructures de santé manquent et parce que la corruption sévit... Or ce phénomène intervient dans bien d'autres domaines, comme l'accès à l'eau ou à l'électricité, etc. "Dans certains quartiers de Kinshasa, commente Jan Bogaert, les habitants n'ont d'autre choix que de se raccorder d'une manière frauduleuse au réseau électrique, en recourant à des électriciens improvisés. Très légitimement, ils souhaitent ainsi mettre fin aux pannes incessantes, quitte à négocier le montant de leur facture avec les agents de l'entreprise locale. Cette entreprise est, en effet, incapable de remplir des obligations de fourniture d'électricité pour tous. Si les agents et les techniciens ferment les yeux sur ces pratiques (voire les encouragent), c'est parce qu'ils ne perçoivent pas le salaire auquel ils pourraient prétendre et parce qu'ils doivent eux-mêmes subvenir aux besoins de leur propre famille. On assiste ainsi à un processus de privatisation informelle de la distribution d'électricité, tolérée par l’État. Ce processus empêche la société de distribution d'accroître ses recettes et de les investir dans une amélioration du réseau qui, alors, profiterait à tous plutôt qu'aux plus débrouillards ou aux mieux placés".

L'accès aux services de base n'est pas le seul phénomène en cause. Dans les zones périurbaines, la pression démographique est telle qu'elle pourrait mettre à mal des modes spécifiques de gestion et de préservation des ressources naturelles. L'Afrique, par exemple, est riche de ces réserves et parcs naturels à haute valeur écologique, où l'afflux de touristes – ou de chasseurs – génère des flux financiers dont une partie est ristournée aux populations locales. Ces dernières sont ainsi incitées à modérer leurs prélèvements sur la faune (lutte anti-braconnage) ou la flore (lutte anti-déforestation), tout en étant relativement assurées de poursuivre leur développement. Or "plusieurs chapitres de notre ouvrage indiquent que ce modèle est en train de voler en éclats sous l'effet de la pression démographique, commente Jan Bogaert. L'exemple le plus inquiétant est celui du parc des Virunga, dans l'est du Congo, où il est question – ni plus, ni moins – d'en arriver à déclasser le plus ancien parc national d'Afrique ! En effet, en raison des déplacements de population, de l'affaiblissement de l'autorité de l’État et de l'absence d'une politique d'aménagement du territoire, le développement des zones urbaines et périurbaines dans cette région (où sévissent, en plus, de graves conflits) se révèle totalement incontrôlé. Cela se traduit par l'exploitation illégale des ressources de la forêt, le grignotage incessant de celle-ci et le déclin de la biodiversité".

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