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Les villes transnationales
23/02/2016

L’envoi d’argent est plus conflictuel que prévu

Les relations entre les Congolais émigrés en Belgique et la RDC sont l’objet de plusieurs chapitres dans l’ouvrage collectif. Bénédicte Meiers, doctorante en Sciences politiques et sociales à la Faculté de Sciences humaines et sociales, se penche sur la population originaire de la localité de N’Djili (Kinshasa), elle met en évidence le rôle central d’églises évangéliques dans les recompositions identitaires lors des migrations. Marc Poncelet et Bienvenu Solo Lola (Université de Kinshasa) s’intéressent à l’argent envoyé par les mikilistes (2) à leurs proches demeurés en RDC. A la lecture de leur contribution, on s’aperçoit qu’au lieu de correspondre à une solidarité naturelle et harmonieuse, cette circulation de flux monétaires au sein d’une famille apparaît « plus négociée et individualisée, conflictuelle, instable, conditionnelle et contrôlée (par le bailleur) qu’il n’y paraît ».

Le doute et la suspicion jouent un rôle perturbateur dans les familles transnationales congolaises étudiées par les deux chercheurs. « Bon nombre de personnes enquêtées en Belgique et à Kinshasa ont avoué que les migrants sont victimes d’abus et d’escroqueries de la part de personnes (parents ou amis) à qui ils remettent de l’argent ou auxquelles ils ont confié la responsabilité de leurs affaires. En revanche, de nombreux membres de familles nous ont dit être sans nouvelles régulières d’un migrant ou n’avoir que des contacts très épisodiques et relevant du « quémandage » ».  « L’envoi d’argent modifie les relations familiales et communautaires… mais tous ne sont pas satisfaits de devoir contribuer au bien-être de ceux qui sont restés. Certains migrants essaient de se dégager des « obligations » d’envoi d’argent qui pèsent sur leurs épaules », note Marco Martiniello, Directeur du CEDEM et coordinateur du projet TRICUD à l’origine de cet ouvrage collectif.

Quelques hypothèses sur l’évolution des sentiments xénophobes

Dans sa contribution, Petar Kovincic, doctorant en sciences politiques et sociales, analyse les rapports entre la population majoritaire et les minorités d’origine immigrée en Belgique. Il cherche à comprendre dans quelle mesure le contact interculturel influence les attitudes de la population majoritaire vis-à-vis de la diversité culturelle. Son analyse se fonde notamment sur une série de sondages d’opinion. « Une première analyse des données d’enquêtes disponibles pointe plutôt l’importance du climat politico-idéologique », note Petar Kovincic dans sa conclusion. En gros, « plus on se situe à droite politiquement, plus on a de chances de souhaiter vivre dans un environnement dépourvu d’immigrés, alors que l’éducation a un effet inverse », avait avancé le chercheur suite à son analyse de données de l’European Social Survey. « Ceux qui ont beaucoup d’amis immigrés ont 5,5 fois plus de chances, toutes autres choses étant égales par ailleurs, de ne pas imaginer leur endroit de vie idéal comme ethniquement homogène que ceux qui n’ont aucun ami immigré ».

La petite quantité de données empiriques disponibles pour mesurer l’évolution des sentiments xénophobes ne permet cependant pas à Petar Kovinvic de tirer des conclusions définitives. Il pointe notamment le manque d’étude prenant en compte le remplacement générationnel. « La question de savoir si les générations nées après la guerre sont mieux disposées envers la diversité culturelle à cause de l’intensification de contacts ou de l’augmentation du niveau moyen d’éducation demeure irrésolue à ce stade »  

La culture au centre des villes post-migratoires

Les trois derniers articles de l’ouvrage concernent l’importance des productions artistiques par les minorités et sur les minorités ainsi que la manière dont elles façonnent de nouvelles manières de vivre la ville post-migratoire. Fatima Zibouh, doctorante au CEDEM, explique que ces expressions artistiques sont une modalité de l’expression politique et de la redéfinition de politiques publiques dans le contexte belge francophone, même si les artistes ne sont pas toujours animés eux-mêmes d’une réelle volonté de transformation ou de changement. « C’est souvent l’interprétation de ces expressions artistiques, par les récepteurs, qui est dotée de charge politique », écrit Fatima Zihouh.

« Les expressions artistiques (de danse, théâtre stand-up, musique…) peuvent donner lieu à des projets fédérateurs qui permettent à des personnes de religion, origines, milieux sociaux différents, d’avancer dans le même sens, souligne Marco Martiniello. Elles permettent aux gens de tisser des liens, ici au niveau urbain, mais aussi avec les pays d’origine. Cela peut redéfinir le sentiment d’appartenance à une ville. Bruxelles est un laboratoire très intéressant à cet égard. Les expressions artistiques créent une culture urbaine différente de celle du passé : Bruxelles, ce n’est plus Bossemans et Coppenolle, mais d’autres choses se sont développées… C’est par exemple Stromae, un artiste qui vient du milieu hip hop et est maintenant présenté comme le symbole de la Belgique à l’étranger. Stromae est le plus connu, mais de nombreux autres créateurs artistiques suscitent de nouvelles modalités d’appartenance et de reconnaissance à la ville et au pays dans lequel ils vivent ».

Pour Marco Martiniello, l’utilisation des arts pourrait réduire les radicalisations parfois constatées. « L’une des sources majeures des problèmes vécus aujourd’hui est le manque de sens éprouvé par certains jeunes vis-à-vis de leur existence. Ils la trouvent dans diverses formes de radicalisation. Les arts sont susceptibles de redonner du sens à la vie. La culture, c’est le contraire de l’ignorance, qui est fortement liée à la radicalisation ».

La publication d’un tel ouvrage, à l’heure de la montée des partis prônant le repli identitaire, pourrait s’apparenter à une gageure. Marco Martiniello : « Je pense plutôt qu’il y a une grande envie de comprendre les évolutions actuelles. Artiste migrationDepuis le début de la soi-disant « crise des réfugiés », les membres de l’équipe du CEDEM sont souvent sollicités par des groupements de la société civile pour expliquer ce qui se passe. Nous y répondons favorablement : expliquer, sur base de recherches - toujours contestables - suscite du débat, ce qui est fondamental dans une démocratie. En tant qu’université publique, notre rôle est aussi de faire comprendre que contrairement au souhait de la plupart des gens, il n’y a pas de solution unique et simple parce que les questions liées aux migrations sont complexes ».

(2)En lingala, le mikiliste désigne celui qui vit en Occident

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