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Modéliser le comportement des roches qui vont accueillir les déchets nucléaires
19/02/2016

Modéliser le comportement du béton en interaction avec la roche a été un des points forts de la thèse de Fatemeh Salehnia. On sait que la résistance d’une voûte dépend notamment des pressions exercées sur elle et les ingénieurs tiennent à cette résistance pour répondre aux attentes de durabilité : les galeries doivent rester intactes le plus longtemps possible pour donner aux générations suivantes l’opportunité d’aller rechercher les déchets. Il est donc essentiel de modéliser le comportement des blocs de béton en relation avec les pressions exercées par la roche ambiante sur le long terme (quelques dizaines ou centaines d’années). Comme dans le cas de Bure, des zones d’endommagement et des fractures apparaissent dans la roche lors du creusement. Leur structure a été également étudiée. Il en résulte, a montré Fatemeh Salehnia, des pressions nettement plus hétérogènes sur le soutènement que ce que l’on considère habituellement. Le soutènement étant constituté de blocs de bétons, les voussoirs, son comportement est particulièrement complexe.  

Une autre avancée majeure de la thèse est la prise en compte de la viscosité du béton. «Cela n’était pas du tout prévu quand j’ai commencé mes recherches, se souvient Fatemeh Salehnia. Mais nous avons dû l’envisager lorsque nous avons commencé à vouloir faire des simulations sur le long terme car nous ne parvenions pas à expliquer les réponses obtenues ». La viscosité du béton ? Pour comprendre cette notion, on peut prendre l’image d’une étagère sur laquelle on met des livres. Au bout d’un certain temps, même si l’on n’ajoute pas de poids supplémentaire, la planche prendre une courbure permanente. Et cette déformation sera irréversible. Il en va de même, à des degrés divers, pour tous les matériaux, béton inclus : tout n’est qu’une question de temps. Une partie des simulations que la chercheuse a faites a imposé de prendre en compte ce phénomène de viscosité du béton sinon une partie des réponses sur le long terme n’était pas compréhensible. Un phénomène qui doit être pris en compte si on veut faire des calculs sur une longue durée.

Bouchons de bentonite

Retour en France et au site de Bure pour la troisième thèse(3), celle défendue par Anne-Catherine Dieudonné. Cette fois, on ne s’intéresse plus à la roche hôte mais aux bouchons qu’on va placer par exemple dans les galeries fracturées étudiées dans les thèses précédentes. Ces bouchons sont composés en tout ou partie d’une argile qui gonfle quand elle absorbe de l’eau : la bentonite. Toutes les argiles ont cette propriété mais à des degrés fort différents. La kaolinite gonfle très peu, voire pas ; la smectite, composant principal des bentonites au contraire est une argiles qui réagit très fort avec l’eau, d’où l’utilisation  de la bentonite dans des applications comme la stabilisation de fouilles ou de forages pétroliers. « Dans le cas qui nous occupe, explique Anne-Catherine Dieudonné,  on utilise de la bentonite sèche, fortement compactée, qui contient peu d’eau. Par hydratation naturelle ou artificielle, elle va gonfler, entrer en contact avec la roche –il n’y a pas de soutènement en béton dans l’expérience française-, exercer une pression sur cette galerie et donc fermer les fractures des zones endommagées et former bouchon. Cela permet d’obturer hydrauliquement les galeries en quelques années. » La technique est connue depuis longtemps mais elle a traversé une période de désaffection. Depuis quelques temps, elle  connaît un regain d’intérêt qui a nécessité de nouvelles études, dont la thèse présentée à Liège. L’enjeu est important car quand on veut placer un tel bouchon, on veut savoir au bout de combien de temps il va être efficace. Des expériences avaient montré qu’on ne connaissait pas bien la cinétique de réhydratation. Le travail d’ Anne-Catherine Dieudonné a donc consisté à essayer de mieux comprendre cette cinétique et comment évolue la perméabilité du matériau. Un travail délicat car la bentonite a une distribution bimodale de porosité, elle possède deux classes de porosité. Une à très petite échelle, celle des particules argileuses, des feuillets d’épaisseur nanométrique et une à plus grande échelle, au niveau d’agrégats. C’est cette dernière qui contribue principalement à la perméabilité du matériau. La thèse défendue par Anne-Catherine Dieudonné montre que si on fait gonfler de la bentonite par de l’eau dans un espace confiné, donc à volume constant, l’eau obstrue la macroporosité puisque la bentonite ne peut augmenter de volume ; la perméabilité se réduit donc et l’hydratation se fait de plus en plus lentement, donc le processus de fermeture aussi. Si, par contre, l’hydratation se produit à volume libre, la bentonite peut gonfler et  la perméabilité reste intacte; l’obturation de la roche hôte est donc plus rapide. Le modélisation de ce phénomène est très complexe car dans la réalité, les deux types de porosité entrent en jeu en même temps : il y a en effet des endroits où la bentonite peut gonfler librement et d’autres pas.

These Nucleaire Dieudonne

Un deuxième enjeu, également traité dans la thèse, est de déterminer quelles vont être les pressions exercées in fine par les bouchons sur les parois de  la roche hôte : seront-elles homogènes ou non ? Suffisantes pour refermer des fissures ou non ? Est-ce que cela ne va pas créer de nouvelles fissures si les pressions sont trop élevées ? Des questions dont les réponses vont évidemment déterminer les solutions mises en œuvre. Complexes, affinées, elles vont sans doute permettre une occultation presque parfaite des fissures mais leur coût et leur complexité feront qu’elles ne seront sans doute jamais déployées. A l’inverse, trop simples et parcellaires, elles seront bon marché et plus faciles à appliquer mais n’assureront sans doute pas une étanchéité suffisante. La modélisation des phénomènes devrait permettre de choisir un juste milieu.

(3) Hydromechanical behaviour of compacted bentonite: from micro-scale behaviour to macro-scale modelling, Dieudonné Anne-Catherine, Université de Liège, 2016, thèse de doctorat.

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