Par Cédric Leduc, Doctorant au Laboratoire de Biologie des Tissus Conjonctifs de l’Université de Liège.
De nos jours, l’utilisation d’animaux à des fins scientifiques est fort controversée et fait souvent l’objet de manifestations ou d’actions de la part de diverses organisations de défense de la cause animale. En effet, l’opinion publique n’est pas vraiment favorable à l’utilisation des animaux pour la recherche particulièrement car les opposants à cette pratique, souvent mal informés, la présentent généralement comme une barbarie sans aucun respect ni aucune raison valable. Pourtant, la réalité est toute autre : le recourt à des animaux de laboratoire ne s’effectue pas n’importe comment ni sans raison ; il y a une réelle nécessité scientifique justifiant cette utilisation qui est néanmoins soumise à des lois très strictes (et particulièrement en Belgique) visant à maximiser le bien-être animal et minimiser leur souffrance.
Une utilisation très ancienne
Très tôt, les hommes se sont rendus compte que les animaux pouvaient leur être utiles, et pas seulement comme nourriture ou main d’oeuvre dans les champs, mais bien parce que leur corps présente des similitudes avec le nôtre. Un des premiers scientifiques à avoir utilisé des animaux pour ses travaux fut le Grec Galien (131-201), et notamment pour ses travaux en physiologie et en anatomie. En effet, la dissection de cadavres humains étant interdite à l’époque, et il s’est donc penché sur la vivisection de porcs, de singes,… afin d’étudier l’anatomie et la manière de fonctionner de leurs corps, pensant transposer ces observations à l’homme (ce qui n’était pas forcément correct même si les travaux de Galien ont permis des avancées majeures dans la médecine).
A partir du XVIIème siècle, les animaux sont couramment utilisés par les chercheurs de l’époque qui remettent tout en question, cherchent à comprendre plus profondément le fonctionnement du corps et de la vie. Les coupes, découpes et dissections d’animaux sont alors monnaie courante et sans aucune remise en question des procédés utilisés. Il faut dire qu’à l’époque, les animaux étaient considérés comme des êtres de deuxième ordre, dénués de toute souffrance, alors que l’homme était l’être supérieur. Il n’y avait donc aucune règle d’éthique jusqu’au XVIIIème siècle, siècle pendant lequel des prémisses d’éthique commencent à apparaitre.
Au début du XIXème siècle, la situation change car deux courants de pensée s’opposent : l’un prône l’observation des animaux vivants dans la nature, sans intervention humaine, alors que le second prône une étude en laboratoire, sans s’attarder sur les questions morales et éthiques. De fil en aiguille, l’expérimentation animale devient contrôlée, des anesthésiants sont de plus en plus utilisés, et certains espèces d’animaux sont privilégiées comme les souris et rats, les mouches.
De nos jours, le bien-être animal occupe une place prépondérante dans la recherche, ce qui est notamment illustré par le nombre de lois régissant l’expérimentation animale.
Aujourd’hui … des lois strictes pour la protection des animaux
Actuellement, plusieurs lois régulent l’utilisation des animaux à des fins scientifiques, que ça soit au niveau européen ou au niveau national. Le premier arrêté royal belge relatif à la protection et au bien-être des animaux fut rédigé et adopté en 1986 pour ensuite être modifié et s’adapter en 2010, 2012 et 2013. L’utilisation des animaux pour la recherche est aussi soumise à la directive européenne 2010/63/EU votée et adoptée le 22 septembre 2010, qui règlemente la protection de ces animaux de laboratoire. Cette loi a pour buts principaux de maximiser leur bien-être, de minimiser leur douleur, leur souffrance et leur angoisse, et de soumettre les procédures utilisées à des commissions d’éthique qui vont autoriser ou pas ces protocoles.
Principe majeur de l’expérimentation animale : les « 3R »
Le principe majeur qui règlemente l’utilisation des animaux de laboratoire est celui des « 3R », signifiant Remplacement, Réduction et Raffinement.
Le remplacement prône l’utilisation d’autres modèles que les animaux (ou l’utilisation d’animaux considérés comme ayant un moindre potentiel de perception de la douleur, comme certains invertébrés) lorsque cela est possible. Ces modèles ou méthodes, sont alors qualifiés d’alternatifs et comprennent notamment l’utilisation de logiciels informatiques complexes ou encore des cultures de cellules mimant des organes,… Un exemple de l’amélioration du statut des animaux de laboratoire et de leur remplacement par des méthodes alternatives (du moins en Europe) est qu’en mars 2013, l’Union Européenne a interdit la vente de produits cosmétiques dont les composants ont été testés sur des animaux. Les moyens techniques actuels, reproduisent en effet fidèlement la peau (et notamment à partir de cultures complexes de cellules), permettant de s’affranchir de l’utilisation d’animaux pour s’assurer de la non toxicité des produits cosmétiques.
Cependant, bien qu’offrant d’indéniables avantages, toutes ces alternatives ont néanmoins leurs limites et sont parfois insuffisantes. Ainsi, un logiciel informatique se limitera à un aspect théorique et à ce qui lui a été programmé, permettant par exemple des comparaisons avec des banques de données existantes. Les cultures cellulaires, simples ou complexes, ne peuvent quant à elle représenter un organisme complet au fonctionnement bien plus compliqué et se contentent d’imiter un organe. Par exemple, un médicament peut être bénéfique sur un organe mais avoir un effet secondaire négatif sur un autre, ce qui n’est observable que sur des organismes entiers. Dès lors l’étude de l’impact de ce composé sur l’organe cible uniquement ne sera donc pas suffisante pour connaitre les éventuels effets délétères de ce composé et il devient donc nécessaire de tester l’impact du composé sur un organisme à part entière, homme ou animal. Dans l’état actuel des choses et des limites des modèles alternatifs, les tests sur animaux de laboratoire constituent une étape nécessaire et impérative : ils sont le lien entre ces modèles alternatifs relativement simples et l’organisme complet humain (ou animal) qui est très complexe. Leur utilisation permet d’évaluer les risques et les bénéfices de molécules (médicaments, implants, …) à l’échelle de l’organisme, ce qui permet d’estimer leurs effets probables sur l’homme. Il n’est donc pas concevable de se passer des tests sur animaux et de passer directement à l’échelle humaine, auquel cas nous assisterions à beaucoup de décès humains dans le cadre de tests de médicaments par exemple.
Lorsque des animaux sont tout de même nécessaires pour la recherche, il faut alors tenir compte du raffinement. Il vise quant à lui à maximiser le bien-être des animaux, et à minimiser leur douleur, leur angoisse et leur stress, de leur naissance à leur mort. Par exemple en limitant le nombre d’animaux par cage, en leur fournissant des éléments d’épanouissement et de bien-être tels que des jeux ou des matériaux pour qu’ils puissent se construire leur propre nid, par exemple (cf. Fig.). De plus, le raffinement prône aussi une amélioration de la qualité des études effectuées sur les animaux de laboratoire. Cela englobe par exemple une formation (obligatoire en Belgique) des expérimentateurs afin qu’ils aient les compétences et connaissances nécessaires pour manipuler les animaux et effectuer directement le geste correct, comme une injection par exemple, ce qui élimine quasiment les aspects négatifs liés à une mauvaise manipulation des animaux.
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Photo d’une souris et de sa portée, dans le nid qui a été créé par la mère avec des matériaux mis à disposition dans sa cage.
Enfin, la réduction prône quant à elle une diminution du nombre d’animaux utilisés lors d’une procédure : on se limite au nombre minimum d’animaux pour prouver sans ambiguïté l’efficacité du concept testé. Pour cela les scientifiques utilisent notamment des analyses statistiques poussés. Une preuve de la réduction du nombre d’animaux et de leur remplacement est qu’en Belgique, en 2012, 600.986 animaux ont été utilisés pour la recherche, ce qui représente une diminution de près de 10% par rapport à 2011 et de plus de 20 % par rapport à 2009, pour atteindre le niveau le plus bas depuis 2000. A noter que 53,6% de ces animaux ont été utilisés pour le contrôle des produits de la santé comme les médicaments, et près de 40% ont été utilisés pour la recherche fondamentale. Parmi ces animaux utilisés, environ 80% étaient des souris, rats et lapins. Des poissons (de l’espère zebrafish), des mouches (drosophiles) sont également utilisés alors que seulement trois singes furent utilisés lors de cette année 2012.
Conclusion
Actuellement, des lois et règles strictes régissent l’utilisation des animaux de laboratoire. Elles visent à maximiser le bien-être animal tout en minimisant les aspects négatifs liés à leur utilisation, et obligent les scientifiques à se former à cela afin de leur conférer les aptitudes requises. Elles prônent, lorsque c’est possible, l’utilisation de méthodes alternatives ne nécessitant pas d’animaux tels que des logiciels informatiques ou des cultures de cellules. Enfin, ces lois visent aussi à réduire au maximum le nombre d’animaux utilisés lorsqu’il n’y a pas d’alternative tout en maintenant un nombre suffisant pour permettre la généralisation des effets observés à l’aide d’analyses statistiques.
Il faut cependant comprendre qu’éliminer actuellement tous les tests sur animaux n’est pas possible car les modèles alternatifs ne permettent pas de remplacer totalement l’utilisation d’animaux compte tenu des limitations de ces modèles qui ne peuvent encore représenter un organisme complexe. Dès lors, si l’on veut comprendre au mieux possible le fonctionnement du corps, et évaluer le plus complètement l’impact potentiel de tout nouveau médicament à l’échelle de l’organisme, l’utilisation des animaux devient une nécessité. Néanmoins, compte tenu de l’évolution de ces méthodes alternatives lors des dernières années, il n’est pas exclu que certaines d’entre elles soient encore développées et qu’elles puissent remplacer l’utilisation des animaux à des fins scientifiques, dans un futur pas si éloigné.