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La Méditerranée, toxique pour les baleines
27/11/2015

Nous disons bien « ses » occupants car justement les baleines de Méditerranée sont différentes génétiquement de leurs congénères d’Atlantique, ce qui rend ces populations de mammifères uniques au monde. « La conservation des mammifères marins en Méditerranée est une problématique à part, explique Krishna Das. Il y a peu de transferts de gènes avec les espèces de l’Atlantique. Cela amène  beaucoup de questions sur leur devenir, leur exposition aux polluants en mer, leur conservation et leur préservation. D’ailleurs, par rapport à l’Atlantique, il y a moins de renouvellement des eaux en Méditerranée. » Aussi, au-delà du constat de la contamination, l’objectif de l’étude était de réaliser une véritable analyse écotoxicologique de la baleine-pilote (ou globicéphale), du cachalot et du rorqual afin de comprendre comment l’écologie particulière à chacune de ces espèces influence le modèle de contamination. Pour cela, il est nécessaire de revenir sur les caractéristiques propres à ces cétacés. « Nous avons cherché à lier le profil de contamination de ces trois espèces avec leur écosystème, leur répartition dans la Méditerranée, leur régime alimentaire. Nous n’avions pas accès à leur estomac. Il a fallu utiliser un plan B, c’est-à-dire avoir recours à des marqueurs d’alimentation que l’on peut analyser dans la peau et qui nous permettent d’identifier la position de l’animal dans la chaîne trophique. Ce sont ces marqueurs qui ont été analysés chez ces trois espèces », précise Marianna Pinzone. Comment ? Avec l'aide d'une arbalète (outil du WWF) munie d'une flèche creuse qui vient se planter dans la graisse de baleine.  Cet embout se trouve au bout d'une corde reliée au biopseur à l'avant du bateau. La baleine ne sent absolument rien lorsque la flèche l'atteint. La sensation est comparable à celle d'une piqûre de moustique pour nous. Pour être certain de ne pas pratiquer plusieurs analyses sur le même animal, les chercheurs prennent de nombreuses photographies pendant l'opération. Le photographe doit s'appliquer à prendre l'aileron dorsal gauche et droit ainsi que la caudale comme il doit également se concentrer sur tous les détails propres à chaque cétacé (marques spécifiques, blessures).

POP echantillonnage

Contamination plus élevée

La place du mammifère dans la chaîne trophique est essentielle à identifier du fait de la nature même des polluants dépistés. En effet, les polluants organiques persistants sont lipophiles, ce qui signifie qu’ils ne se dissolvent que dans les corps gras, dans tout ce qui est matière organique, y compris de grande profondeur. « Même les animaux de l’Antarctique sont contaminés par les PCB ! Ils arrivent là par le biais des circulations atmosphériques et océaniques. Tous les compartiments de la Terre sont affectés, un peu moins en Antarctique mais les baleines de l’Antarctique sont elles aussi contaminées. » Une fois plongés dans l’eau de mer, les polluants vont donc d’abord être absorbés par le plancton ou à d’autres minuscules organismes similaires. Ces organismes pollués sont ensuite ingurgités par des espèces marines plus grandes. Et selon la logique de la chaîne alimentaire, ce sont les mammifères qui se trouvent au bout de celle-ci qui vont accumuler dans leurs tissus toutes ces réserves de graisse lourdement contaminées par des actifs chimiques toxiques qui ne se seront jamais dissous. Les polluants se retrouvent alors surtout dans le blanc de baleine, un tissu très dynamique qui se rompt au cours des périodes de faim. Lorsque cela se produit, les polluants se trouvent alors libérés dans le sang. Comparés à ce schéma, les résultats obtenus ne sont pas surprenants. Le rorqual, qui se nourrit de plancton et qui est donc plus bas au niveau trophique, est moins contaminé par les PCB, DDT et autres que le globicéphale ou le cachalot. Ces deux mammifères, à l’inverse, sont fortement intoxiqués. Ceci peut s’expliquer par leur régime alimentaire, de type pélagique, puisque tous deux consomment des céphalopodes. Le cachalot en particulier ne mange qu’un certain type de céphalopodes et semble avoir une alimentation très spécifique alors que le globicéphale peut se nourrir de certains poissons en plus des céphalopodes. C’est peut-être ce qui explique que ce sont les globicéphales et les cachalots, les plus hauts dans la chaîne alimentaire par rapport au rorqual, qui sont les plus atteints par les polluants de type PCB. En revanche, les résultats comportent quelques surprises concernant la présence de DDT dans les tissus. Ainsi, le cachalot enregistre un taux beaucoup plus fort de contamination aux DDT que le globicéphale. « Cela est peut-être lié au fait que les cachalots (mâles en particulier) bougent, migrent en Méditerranée jusqu’à proximité des côtes où ces DDT sont encore en usage. » Il semblerait que les jeunes mâles en particulier se rendent au cours de migrations saisonnières dans le bassin oriental de la Méditerranée, là où de fortes quantités de DDT sont encore déchargées dans l’environnement marin. « De toute façon, on connaît peu de choses des cachalots car ce sont des bêtes de très grande profondeur, jusqu’à 3000 mètres. Les sous-marins les croisent ! On est vraiment au début de la connaissance du cachalot en Méditerranée comme ailleurs. Le niveau de contamination retrouvé chez eux doit encourager la recherche les concernant», précise Marianna Pinzone. D’une façon générale, il apparaît en tout cas clairement que ces trois mammifères de Méditerranée présentent un profil de contamination plus élevé que leurs congénères d’Atlantique. Ainsi, le globicéphale connaît une concentration de PCB jusqu’à 95 fois supérieure à celle du globicéphale de Tasmanie. Même constat avec le cachalot, chez qui les taux de PCB sont deux fois plus hauts que ceux des cachalots d’Atlantique. Quant au rorqual, il n’est pas en reste puisqu’il est quatre fois plus intoxiqué par les PCB que le rorqual de l’Atlantique, il y a vingt ans !

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