Partage d'informations
Pendant quatre ans, dont treize mois passés sur le terrain en RDC, Jean-François Bastin élargit patiemment ses données d'échantillonnage, bénéficiant du partage d'informations de diverses institutions de recherches internationales (CIRAD, IRD, CTFS,WCS, Université de Yaounde, Oxford, etc). Au total, sa base de données ainsi constituée (plus de 10 000 arbres inventoriés dans 175 parcelles de un hectare) concernera quatre pays d'Afrique centrale: Cameroun, Gabon, République Centrafricaine et RDC. Dans cet ensemble énorme, il définit alors neuf zones principales soigneusement réparties et couvrant les principaux gradients environnementaux du bassin du Congo.
La première conclusion de ce travail aboutit à un constat fondamental: la structure de la forêt tropicale africaine est stable. Pour bien comprendre cette notion de "structure", il faut savoir qu'elle ne renvoie pas aux espèces ni aux essences, mais bien au rapport entre le nombre de gros arbres et de petits arbres présents. "Il faut imaginer la forêt comme un volume, explique le chercheur. Année après année, celui-ci se remplit du fait de la croissance des arbres. Or, quelle que soit la zone étudiée et quelles que soient les essences considérées, nous avons constaté que le rapport entre les gros et les petits arbres est stable. En d'autres termes, il n'y a pas mille façons différentes, pour la végétation ligneuse, d'occuper l'espace. Quelle que soit leur taille absolue, de grands individus parviennent, au fil de leur croissance, à former la canopée sur leur partie supérieure. Assez larges, ils laissent peu de place aux individus plus petits qui, nettement plus nombreux, remplissent les couches inférieures du volume. Mais, partout, la proportion entre les uns et les autres est constante"
Une avancée pour l'Afrique
Ces résultats ne constituent pas complètement une surprise. Ils se situent en droite ligne de la théorie dite du "métabolisme quantitatif en écologie" (MTE). Élaborée par les Professeurs West, Brown et Enquist pour comprendre la structure des arbres et des forêts (et publiée dans Science dès 1997), cette théorie avait proposé un modèle capable de caractériser la stabilité de la relation entre la taille des arbres et le nombre d’individus présents. Mais, du fait des incertitudes liées aux plus gros arbres, sa validité n'a cessé de faire débat entre 2000 et 2010 voire, dans une moindre mesure, jusqu'à nos jours.
Jean-François Bastin et ses collègues sont donc repartis de cette base théorique, mais avec une particularité: ils se sont focalisés sur les gros arbres. Ils ont démontré que la proportion entre les gros et les petits sujets est constante, soutenant ainsi les hypothèses issues de la MTE. Ils sont également les premiers à avoir appliqué cette théorie dans le cadre d'un objectif de simplification des bilans carbone forestiers d'Afrique centrale, démontrant sans ambiguïté l'économie financière que représente la mesure d’une fraction minime du peuplement forestier. Une avancée d'autant plus importante que, tant pour des raisons liées à son instabilité politique qu'au faible rayonnement international des études scientifiques (souvent rédigées en français), l'Afrique centrale reste moins connue que la forêt amazonienne.