L'établissement de bilans carbone rigoureux en milieu forestier est un élément clé de la stratégie de lutte contre le réchauffement du climat. Au terme de sa thèse doctorale, Jean-François Bastin a démontré qu'il est possible de dresser ces bilans d'une façon infiniment plus rapide et légère qu'autrefois, avec une perte minimale de précision. Un gain d'efficacité qui, dès à présent, ouvre des perspectives immenses en matière de conservation et de gestion des forêts tropicales.
Les forêts tropicales jouent - elles joueront demain, a fortiori - un rôle fondamental dans la lutte contre l'effet de serre. Qu'elles soient sud-américaines, africaines ou asiatiques, il faut les protéger, voire les restaurer là où elles ont été dégradées afin de renforcer leur capacité à stocker les gigantesques excès de carbone émis dans l'atmosphère par les activités humaines. Las! Les pays concernés ont parfois tendance à exploiter les forêts à outrance, les yeux rivés sur le développement à tout prix et le profit à court terme.
Pour les aider à agir d'une façon plus durable, les agences environnementales internationales, poussées dans le dos par les Conférences des parties sur la Convention Climat (COP - la prochaine s'ouvre à Paris fin novembre), ont mis sur pied des programmes tels que le REDD: "Réduction des Émissions liées à la Déforestation et la Dégradation des forêts" des pays en développement". L'idée clef: si l'on attribue une valeur financière aux bassins forestiers riches en carbone, celui qui les protégera ou accentuera leur potentiel de "captation" du carbone pourra être récompensé via des "crédits carbone".
Les débats autour de cette marchandisation de l'environnement ont toujours été abondants. Mais quelles que soient leur nature et leur pertinence, il reste cette évidence: si l'on veut avancer concrètement dans la mise en œuvre des programmes de conservation de la forêt tropicale, il faut impérativement disposer de données scientifiques rigoureuses sur les stocks de carbone des différents types de forêts (dense, dense humide, sèche, montagneuse, etc). Ce qui, nécessairement, passe par l'élaboration de leur bilan carbone.
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Des mesures fastidieuses
C'est ici qu'interviennent les travaux de Jean-François Bastin , chercheur au département Ingénierie des biosystèmes (Biose) de Gembloux Agro-Bio Tech (Université de Liège) et à l'ULB (Laboratoire d’Écologie du Paysage et systèmes de production végétale), récemment publiés dans la revue Scientific Reports (1). Leur impulsion initiale repose à la fois sur un constat pragmatique et une intuition. D'abord, le constat: la réalisation du bilan carbone d'une forêt tropicale est à la fois lent, fastidieux et coûteux. Une fois la parcelle d'échantillonnage délimitée, il faut y mesurer tous les arbres (diamètre et hauteur totale) de plus de 10 centimètres de diamètre à une hauteur d'1,30 m et réaliser une longue série d'opérations: détermination de l'essence, extraction d’échantillons de bois, réalisation d’herbiers, etc. Au total, chaque hectare (soit la surface idéale pour cette démarche en Afrique centrale) compte en moyenne 400 arbres à caractériser de la sorte. Ce travail d'équipe nécessite le déplacement en forêt de profils professionnels spécialisés (botanistes, techniciens forestiers, logisticiens, etc.) et s'étale en moyenne sur cinq à six jours - voire dix, s'il s'agit d'inventaires forestiers permanents. Autant dire que la mise en œuvre est lourde, d'autant qu'il faut tenir compte des conditions éprouvantes de température et d'humidité!
Certes, ce travail de fourmi est aujourd'hui complété utilement par la télédétection. "En combinant les images satellites et les informations de terrain, nous élaborons des modèles qui permettent d'extrapoler la distribution des stocks de carbone à la forêt étudiée toute entière, explique Jean-François Bastin. Le hic, c'est que les technologies de télédétection comportent encore de sérieuses lacunes et que, malgré les efforts de ces dernières années, l'Afrique manque cruellement de parcelles caractérisées d'une façon suffisamment fine et standardisée pour permettre un réel suivi des forêts à l'échelle continentale".
Quant à l'intuition de départ du jeune chercheur, elle remonte à une mission préliminaire à sa thèse, au sein des forêts denses de la République Démocratique du Congo (RDC). "Je me demandais souvent si l'on pourrait découvrir, un jour, un indicateur global permettant à lui seul de résumer l'état d'une forêt. Et tout particulièrement d'estimer son bilan carbone sans passer par ces mesurages. Un peu utopique, sans doute, mais je voulais au moins tester l'idée..."