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Quand le phytoplancton devient Monsieur Météo
10/19/15

Depuis plus de trente ans, Anne Goffart, expert scientifique au sein du laboratoire d’Océanologie de l’Université de Liège, analyse le phytoplancton présent dans la baie de Calvi, en Corse. Elle vient de publier un article dans la revue Progress in Oceanography (1), dans lequel elle relie la présence (ou non) de phytoplancton à un indice d’intensité hivernale. Ce qui lui a permis de dégager trois grandes tendances : une période optimale dans les années 80, une décennie de réchauffement dans les années 90 et une alternance d’extrêmes depuis 1999. Reste à déterminer l’impact sur la chaîne trophique marine.

Anne Goffart connaît la baie de Calvi (Corse) comme sa poche. Sa première visite sur l’île de beauté remonte à 1979. Elle se souvient encore de son arrivée en voilier, à la fin de sa première candidature. Depuis, pas une année ne passe sans qu’elle ne se rende à Stareso, la station de recherches océanographiques et sous-marines que l’ULg y a établi en 1972. Pas une année non plus sans qu’elle n’y effectue des prélèvements en surface de phytoplancton, ces microorganismes invisibles à l’œil nu, qui constituent la base de la chaîne alimentaire en milieu marin. Petits par la taille, grands par leur influence sur les autres niveaux trophiques. « Lorsque j’ai commencé à faire ces prélèvements, ce n’était pas encore la mode des séries de données. Au départ, je trouvais intéressant de caractériser le système dans lequel on se trouvait, raconte l’océanologue. Puis c’était facile, il suffisait de prendre un petit bateau et de parcourir 100 mètres ! Le point d’échantillonnage est tellement près de la côté qu’on pourrait y aller en nageant ou en kayak, chaque jour si on veut. Alors qu’au large, on dépend de la météo ».  

STARESO vue

« Heureusement que j’ai réalisé les analyses »

Les années s’en suivirent, les données s’accumulèrent. Jusqu’au jour où la chercheuse se dit qu’une telle série récoltée depuis si longtemps pourrait sans doute lui en apprendre beaucoup sur l’évolution du milieu. Mais avant de dégager des tendances, il fallait d’abord interpréter les données. Anne Goffart s’est d’abord attelée à déterminer la biomasse phytoplanctonique, (concentration totale de phytoplancton, qui s’exprime en microgrammes de chlorophylle a par litre, μg chla l-1). Puis, l’évolution rapide des techniques a permis de mesurer simultanément la biomasse et l’abondance des grands groupes phytoplanctoniques. Étrangement, certaines années présentaient des concentrations élevées en phytoplancton, alors que d’autres présentaient des niveaux très bas. « Le but était d’essayer de comprendre pourquoi il y avait de telles variations. Heureusement que c’est moi qui ai réalisé les analyses depuis le début. Sinon, au vu de telles différences interannuelles, j’aurais pu croire à des erreurs de manipulation, liées à la succession de plusieurs opérateurs ! »

Les raisons de ces variations ne pouvaient pas venir de la pollution ou de l’activité humaine, puisque la baie de Calvi a la chance d’en être préservée, surtout en hiver. Quoi d’autre, alors ? « Le phytoplancton, ce sont des algues, des végétaux. Comme tous les végétaux, il leur faut deux choses pour se développer : de la lumière et des engrais, soit des sels nutritifs, détaille-t-elle. En Méditerranée, on considère que la lumière est présente en suffisance, quelle que soit la période de l’année. La croissance va donc être contrôlée par les sels nutritifs ». Ceux-ci sont présents essentiellement dans les couches profondes de la mer, sous cent mètres au moins. En hiver, ils sont ramenés en surface par le vent. Plus il soufflera fort, ou souvent, plus l’eau sera mélangée. Et vice versa.  

En mettant au jour la présence (ou l’absence, selon les années) de sels nutritifs, la chercheuse a remarqué qu’un autre facteur intervenait : la température de l’eau, mesurée en continu par l’équipe de Stareso. Idéalement, celle-ci doit être froide. Sous les 13,5 degrés, durant une période déterminée. Sur cette base, elle a mis au point un indice d’intensité hivernale, combinant la longueur de la période d’eau froide multipliée par la force du vent durant cette période. Plus l’indice est fort, plus l’hiver aura été rigoureux, et inversement. « Cela nous a permis de comprendre le processus, pour quelles raisons on constatait de telles variations. Cette relation avec l’intensité hivernale n’avait jamais été mise aussi clairement en évidence en Méditerranée ».  

(1) Drivers of the winter–spring phytoplankton bloom in a pristine NW Mediterranean site, the Bay of Calvi (Corsica): A long-term study (1979–2011), Anne Goffart, Jean-Henri Hecq, Louis Legendre, Progress in Oceanography, 2015.

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